À retrouver aussi dans Politique magazine (n°244, mars 2025) avec de nombreux autres articles.
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par Richard de Seze
Présenté au Salon de 1824, ce tableau avait été commandé par le ministère de l’Intérieur en 1820 afin de figurer « le Vœu de Louis XIII qui met sous la protection de la Sainte Vierge à son Assomption le Royaume de France » : la monarchie repeuplait les églises dépouillées par la Révolution, et ce Vœu, destiné à Montauban, permettait à la fois de célébrer la Restauration (qui avait trouvé en Ingres un artiste français qui n’avait pas du tout sacrifié à Napoléon) et de rappeler que Montauban était redevenue catholique au XVIIe siècle. Ingres s’attela à la tâche avec la minutie qu’on lui connaît : études préparatoires, recherches documentaires, contemplation des maîtres… Pour l’anecdote, « la pose finale de la Vierge fut donnée par Ingres lui-même, complètement nu et juché sur un escabeau avec un chapeau [ou un paquet de linge, selon C. Blanc] dans les bras en guise d’Enfant Jésus. Un dessin croqué par son ami Constantin rappelle cette anecdote ».
Si le tableau, récemment restauré, est aujourd’hui exposé au musée Ingres Bourdelle, c’est parce que le musée a acquis en 2024 L’Esquisse pour l’Enfant Jésus, une parmi les plus de 100 peintures et dessins (dont le musée possède une bonne part) réalisés pour la préparation de l’immense toile du Vœu de Louis XIII aujourd’hui conservée à la cathédrale de Montauban (en 1824, le tableau plut tant que le ministère voulut le garder pour le Val-de-Grâce : Ingres insista pour que le Vœu aille à Montauban, où il finit par arriver en 1826) ; et parce que la cathédrale est fermée pour travaux : excellente occasion pour présenter le tableau dans la chapelle du musée, avec les études pour le roi, les anges, les draperies ou le décor (jusqu’au Coin d’un coussin brodé de perles et un Chandelier). On pénètre dans la pensée du peintre et chaque feuille montre comment il approche son sujet, le cerne peu à peu, l’emmène vers cette perfection classique en fait toute vibrante de sentiments, comme en témoigne le geste du roi, tendant à bout de bras sceptre et couronne pour l’offrir à la Vierge et à l’Enfant – dont il est le lieutenant –, Vierge raphaélesque à souhait (Ingres avait alors son atelier à Florence) et aux aimables rondeurs, et même maquillée, pour ainsi dire, lui enlevant tout caractère éthéré, même si son regard plongeant vers le roi lui donne assez de majesté.
La Vierge paraît en fait surgir d’un tableau d’autel, comme si le roi, à genoux, voyait s’animer une figure peinte, deux anges repoussant des tentures devenues véritables et une nuée blanche déroulant ses volutes vers le sol ; comme si la ferveur du prince (consacrant à la Vierge « sa personne, son État, sa couronne et ses sujets, selon la formule de 1638) avait littéralement amené la Vierge à apparaître, avait métamorphosé – on n’ose écrire transubstantié – la représentation en réalité. L’effet est assez discret mais explique bien la frontalité de la scène et justifie même, en quelque sorte, le décor, car l’autel au-dessus duquel se tiennent la Vierge et l’Enfant ne s’explique pas sinon par cette volonté de réalisme merveilleux ; l’interprétation n’est pas si folle puisqu’en fait elle représente l’effet même voulu par les peintures religieuses, médiatrices entre l’espace où se tient le fidèle et le ciel qu’il implore.
Le tableau, qui succédait à une commande des religieuses françaises de la Trinité-des-Monts, plut : Ingres reçut la croix de la Légion d’Honneur des mains de Charles X, d’autres commandes religieuses furent passées et il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts. Ingres, éternel inquiet, ne remit jamais en chantier son tableau, alors qu’il répliquait ses œuvres en les transformant sans cesse, pas même dans la gravure qui en fut tirée. C’est en effet un chef-d’œuvre, reconnu tout de suite pour tel.
(Illustration : Le vœu de Louis XIII, huile sur toile de Jean-Auguste Dominique Ingres, 1824, dans la cathédrale de Montauban)