Par Adègne Nova
Bayonne, début des années 1930, un dandy de charme, enjôleur, à qui on ne refuse rien. Ah le beau Sacha… faux bijoux, faux bons mais vraie crapule. Un voleur sans vergogne mais avec des soutiens qui a pu compter sur la complicité et la cupidité de personnages haut placés en politique mais aussi dans la justice, pensez donc, 32 non-lieux avant une première inculpation… C’est l’affaire Stavisky. Il y en a pour plus de 200 millions. « Qui va faire les frais » de l’argent volé, se demande Léon Daudet dans L’Action française du 2 janvier 1934 ? Dès la ligne suivante, il donne la réponse : « Les contribuables, parbleu ! Ils ont bien l’habitude. Demain la banqueroute sera faite par une centaine de ‘Stavisky’ engraissant, du fruit de leurs rapines, une centaine de parasites parlementaires, députés et sénateurs ».
Les estimations de l’« entourloupe » Stavisky grimpent : 200, 300, 350, on commence même à entendre parler de 400 millions de francs dans la presse. Le plafond moral est lui aussi crevé : on ne compte plus les juges, conseillers, sous-secrétaires d’Etat, ministres qui sont concernés… C’est un nouveau Panama ! Et ce « au moment où le Gouvernement et le Parlement de la République se déclarent incapables d’équilibrer nos finances et, défendant la gabegie sur laquelle est fondé leur règne, refusent aux Français de diminuer les charges fiscales qui les écrasent, alors qu’ils en ajoutent de nouvelles », indique Léon Daudet dans L’Action française du 9 janvier 1934. Tiens, tiens… 1934, 2024-2025, les constats sont identiques, serait une question de régime, la question peut légitimement se poser ?
Vous l’avez compris, l’affaire Stavisky fait trembler les hommes de la IIIe République. Le 7 janvier le journal de notre mouvement titre sa manchette « À bas les voleurs ! » ; le 9 « À bas les voleurs ! À bas les assassins ! Tous, ce soir, devant la Chambre » ; le 11 « À bas les ministres et les députés vendus ! Tous, ce soir, devant la Chambre » ; le 12 « La révolte de Paris contre les voleurs ! Pour l’honneur français. En avant ! Jusqu’au bout ! »… Et durant tout le mois de janvier, L’Action française étale dans ses colonnes toute la félonie d’une classe politique pourrie jusqu’à l’os.
Les jours passent et les Français découvrent sans cesse de nouveaux éléments qui alimentent leur désappointement, leur colère, leur incompréhension à l’égard d’hommes qui se jouent d’eux.
Le 6 février, c’est l’horreur !
L’Action française titrera le lendemain : « Paris couvert de sang. Pour étouffer la révolte des honnêtes gens, la garde mobile tire sur la foule : 50 morts…». Des blessés, Charles Maurras écrit dans sa rubrique quotidienne « La Politique » qu’ils sont « en si grand nombre qu’un seul hôpital en avait reçu plus de 90, tous atteints gravement, non de coups de matraque, mais de balles tirés, pour ainsi dire, à bout portant ».
Que s’est-il passé ce 6 février 1934 ?
Frot, tout frais ministre de l’Intérieur du Gouvernement Daladier, et Bonnefoy-Sibour, préfet de police depuis trois jours, « ont fait mitrailler la foule indignée qui venait autour du Palais Bourbon clamer son indignation, exiger la justice et la démission d’un régime qui s’enfonce dans la boue et dans le sang. Les plus formidables forces de police qu’on n’ait jamais vues étaient debout, armées pour la garde d’une bande de scélérats, dressées, excitées contre un peuple généreux qui ne veut pas subir une immonde dictature ». L’image décrite ici par L’Action française du 7 février 1934, fait froid dans le dos. La quasi-totalité du journal est consacrée à l’émeute et aux morts faits par la République :
« Pendant que la Chambre maudite tenait sa séance houleuse, les prétoriens, sur le pied de guerre, se formaient en masses de l’esplanade des Invalides au quartier Latin, des Champs-Élysées à Saint-Germain l’Auxerrois, tout le long des boulevards. Il est impossible de décrire l’aspect de Paris qui fut sinistre dès 17 heures et tragique à partir de 20 heures. Des multitudes innombrables de Français debout pour sauver leur patrimoine pillé et l’honneur de leur patrie, formaient dans la brume glacée des rassemblements innombrables (…)
Dès les premiers moments, des collisions se produisirent en plus de cinquante points. Partout où les manifestants pressaient de leur poids les rangs de la police, le combat éclatait avec une violence terrible qui en peu de minutes prenait sur la place de la Concorde et aux Champs-Élysées notamment la physionomie d’une émeute. Contre les Camelots du Roi, les Jeunesses patriotes, les Croix de Feu, les adhérents de l’UNC et les protestataires qui s’étaient joints à ces groupements, on lançait dans des ruées sauvages les agents et les gardes mobiles et dans des chevauchées furieuses les cavaliers sabre au clair. Mais les patriotes se défendaient avec énergie (…) »
La mêlée est confuse, certes, mais les patriotes déterminés, « vers 19 heures 30, on vit la police plier. Les sections débordées refluaient ; les cavaliers, pris de panique, faisaient demi-tour. Le cri ‘À la Chambre ! À la Chambre !’ Les colonnes de manifestants ayant déblayé la place de la Concorde, enfoncèrent l’énorme barrage qui interdisait l’accès du pont et se ruèrent vers la Chambre. C’est alors que les gardes mobiles et les agents ouvrirent le feu, déclenchant une fusillade qui devait se prolonger fort avant dans la nuit (…) Mais, loin d’être épouvantés par l’acte du sanglant Bonnefoy-Sibour, les manifestants, après avoir reflué sous ces décharges, se reformèrent pendant qu’on emportait les morts et les blessés. Des chevaux sans cavaliers couraient au hasard dans la foule. Les cris, les coups de feu, le sifflement des balles, les huées se croisaient lugubrement. Cependant, pris de panique, les députés avaient fui, à 20 heures 30, par la rue de Bourgogne. Frot, reconnu par des manifestants, avait juste le temps de s’échapper en voiture. Les assauts d’un peuple rendu furieux se renouvelaient.
Vers 22 heures, une formidable colonne en tête de laquelle on remarquait de nombreux Camelots du Roi et qui comprenait des milliers de combattants de l’UNC, des ligueurs d’Action française, des Jeunesses patriotes, des membres de la solidarité française, arrivait du boulevard des Italiens, balayant tout sur son passage, mettant toute la police en fuite. Elle descendait dans une terrible clameur la rue Royale, franchissait la place de la Concorde et venait battre de ses flots la digue des gardes mobiles qui, sur plus de deux cents rangs de profondeur, bouchait le pont. L’élan était si fort que la digue s’ouvrit. On entendait fort avant sur le pont les cris des Camelots du Roi et l’on voyait flotter au-dessus des casques les drapeaux de l’UNC. Tout d’un coup, quatre lances des sapeurs-pompiers aspergèrent les assaillants et de nouveau les coups de feu crépitèrent.
Pendant que les prétoriens du bandit Bonnefoy-Sibour s’acharnaient ainsi sur les patriotes, les bandes communistes opéraient en toute liberté rue de Rivoli, où elles arrêtaient les automobiles, les renversaient, brisaient les lampadaires, coupaient les conduites de gaz et allumaient de nombreux incendies, place Saint-Augustin où elles s’efforçaient de desceller la statue de Jeanne d’Arc et dans les jardins des Tuileries où elles mutilaient les statues. »
Alors, regardons les victimes : « Sur le pont de la Concorde, où est établi l’état-major de la police, on amène des manifestants arrêtés. Tous sont à demi-morts, affreusement blessés, défigurés, pleins de sang. Lorsqu’ils arrivent au barrage de gardes, maintenus chacun par quatre ou cinq agents, il se trouve encore des gardes pour les frapper à nouveau… lâchement (…) On voit les gardes à cheval tirer leur sabre et charger au galop sur la foule (…) Une automobile de sapeurs-pompiers arrive. On déroule les manches à eau et on les braque sur la foule. Mais celle-ci se soucie peu du bain glacé (…) Puis retentit le crépitement sinistre de la mitrailleuse. Une clameur immense s’élève. Des hommes de tout âge sont tombés. On ramasse des blessés et des morts… (…) Devant la Chambre, sous l’œil narquois de certains députés qui ont eu le cynisme de venir, sur la terrasse du Palais Bourbon, assister au massacre, on transporte sur des civières de grands mutilés, poitrine chargée de décorations, et qui ont été odieusement ‘passés à tabac’ (…) On voit arriver Maxime Real del Sarte, livide de douleur, soutenu par M. Le Provost, conseiller municipal de Paris. Le président de la Fédération nationale des Camelots du Roi a été si terriblement frappé qu’il va perdre connaissance (…) Le docteur Lobligeois, est si odieusement frappé que l’on craint qu’un de ses yeux soit perdu (…) ».
Et ça continue encore… et encore… toute la nuit durant. À 23 heures 15, Daladier communique : la liste des mensonges est établie, comme l’indique la transcription du communiqué dans notre journal : « L’appel au calme et au sang-froid, que le gouvernement avait lancé ce matin par la voie de la presse, a été entendu par les anciens combattants, qui se sont refusés à s’associer aux agitateurs professionnels. Par contre, certaines ligues politiques ont multiplié les excitations à l’émeute et tenté un coup de force contre le régime républicain. Des bandes armées de révolvers et de couteaux ont assailli les gardiens de la paix, les gardes républicaines et les gardes mobiles. Elles ont ouvert le feu sur les défenseurs de l’ordre ; de nombreux agents ont été blessés. La preuve est faite par l’identité des manifestants arrêtés, qu’il s’agissait bien d’une tentative à main armée contre la sûreté de l’État. Grâce au courage et au sang-froid des défenseurs de l’ordre, ces assauts ont été brisés. Les objectifs visés par les fauteurs de troubles n’ont pas été atteints. Les mesures nécessaires ont été prises immédiatement, afin de couper court à toute nouvelle tentative. Conscient de son devoir envers le pays qui réclame l’ordre et la paix, le gouvernement est résolu à assurer par tous les moyens que lui confère la loi, la sécurité de la population et l’indépendance du régime républicain. Il compte, pour l’aider dans cette tâche, sur la collaboration du peuple français qui, loin de se courber devant les prétentions d’une audacieuse minorité, demeure fermement attaché à ses institutions de liberté ».
À ces propos abjects, viennent s’ajouter ceux de Bonnefoy-Sibour quelques minutes plus tard : il n’a rien trouvé de plus scandaleux que d’interdire pour le lendemain toute réunion de citoyens français, fût-ce pour pleurer les morts. Ainsi a-t-il pris le sinistre arrêté suivant : « Considérant que les manifestations qui ont eu lieu à Paris ces jours derniers ont gravement troublé l’ordre et compromis la sécurité publique, arrêtons : Art. Ier – Tout cortège et tout rassemblement sur la voie publique sont interdits tant dans la ville de Paris que dans le département de la Seine ; Art. II – Le directeur général de la police municipale, le colonel commandant la légion de la garde républicaine, le colonel commandant la gendarmerie de la Seine, et tous les agents placés sous leurs ordres sont chargés de l’exécution du présent arrêté ».
La lecture de L’Action française de ce lendemain tragique me fait penser à des scènes vécues récemment… en 2018… les Français en colère étaient alors vêtus de jaune… qui résistaient aux jets d’eau des puissants camions des forces de l’ordre, aux lanceurs de balles de défense (LBD) et aux arrestations arbitraires.
Charles Maurras dira après la tragédie toutes les vérités tues par les hommes politiques du moment, relevant toutes leurs inepties pour conserver leurs pouvoirs et faire passer pour coupables d’autres qu’eux : « Les coupables… Mais coupables de quoi, M. le ministre assassin ? Ils criaient ‘À bas les voleurs !’ Ils voulaient donner leur avis aux protecteurs de l’escroquerie, ils s’avançaient sur les ponts, à travers les places de la grande ville, en arborant le drapeau de l’honnêteté offensée : hommes, femmes, jeunes gens, anciens combattants couverts de décorations gagnées au péril de leur vie, toute la fleur du pays de France, contre toute le lie de votre monde politicien que vous auriez dû être le premier à réformer et à châtier, si vous aviez eu de l’honneur ! (…) Le peuple de Paris eût-il commencé à tirer (avec quelles armes ?) encore faudrait-il savoir qui a commencé à voler, à escroquer, à protéger escrocs et voleurs !
Tous les témoins de la première bataille sont unanimes. J’en ai vu de bandés, encore couverts de sang ; j’en ai vu, simples passants impartiaux, qui venaient déposer chez nous, parce qu’ils savent qu’il y a ici un suprême refuge de patriotisme et de civisme, de justice et de vérité. Tous ont dit la même chose : les gardes mobiles ont tiré sur le pont de la Concorde à l’instant précis où les assaillants venaient de se rendre maîtres des tuyaux de pompes à incendie que l’on avait pointés contre eux (le régime républicain est le plus archaïque de tous ; il se figure que l’on vient à bout des houles de colère d’un jeune peuple avec les moyens renouvelés du maréchal Lobau en mai 1831 !) (…) Quand bien même on admettrait qu’à ce moment-là une certaine panique ait pu s’emparer d’une troupe novice, mal commandée, troublée et démoralisée par les ordres frais de leurs nouveaux chefs, il faudrait dire : mais après ?
Après ? Les noires horreurs des Champs-Élysées ! Après ? À l’instant même où le sanglant Daladier essayait de désavouer son crime, en en chargeant autrui, au même point du temps où il rédigeait le mensonge ignominieux qui n’a même plus ce bas allant, ce mouvement vil, mais fort, qui distingua les aveux des grands criminels de la jacobinaille, l’homme qui écrivait ces mensonges rampants avait soin de les contredire par son action. IL TUAIT AU MOMENT OÙ IL TENTAIT DE SE DISCULPER DE CETTE TUERIE. Voyez les heures. Comptez bien. On hésite entre deux exclamations : ‘Ah le misérable ! Ah le péteux !’ Le misérable qui veut couvrir à tout prix ses amis les brigands de la caverne enchaînés à la jouissance de leur trésor. Le péteux qui n’ose pas dire : ‘Eh bien, c’est moi qui ai fait cela, pour sauver mes voleurs, soutenir mes escrocs, veiller à la liberté et à la vie des précieux Bonnaure qui ont fait nos élections avec les chèques de Stavisky et que je récompense comme il faut !’ »
Ce qu’il faut regarder avec respect ce jour-là c’est « le courage de la France », comme l’a qualifié Charles Maurras. C’est « quelque chose de fort et de noble », dit-il. Un « impavide courage civique de la foule française sur laquelle on tirait. Il n’y a pas eu de panique. Il n’y a pas eu de désordre. La foule a reculé pied à pied, et, toutes les fois qu’elle l’a pu, elle a repris hautement, vigoureusement, l’avantage. Jamais peut-être on n’avait vu ce degré stoïque d’abnégation dans une masse commandée et dirigée par la seule unanimité d’un sentiment juste, d’un plus juste ressentiment. Rien ne l’a découragé. Elle n’a pas cessé de se ruer à l’assaut, d’y revenir, de s’y obstiner sous le feu ».
Tissier de Mallerais dirait plus tard à Charles Maurras : « oui, sans doute, cette foule a été héroïque et cet héroïsme avait quelque chose d’affreusement naturel. À combien de Français la République des voleurs n’a-t-elle pas rendu la vie écœurante ? Comment craindre la mort quand il s’agit d’abattre un régime, un pouvoir qui a organisé la banqueroute de notre coûteuse victoire, qui met et qui garde au pinacle les traitres condamnés de la guerre, a dilapidé nos finances, tué notre économie, souillé et ruiné notre justice, n’a plus d’autorité que celle d’une force qui devrait garder notre paix, protéger notre travail et nos frontières, et dont il abuse pour défendre ses pilleries, empoisonner la moralité publique et nous déshonorer devant le monde entier ! Il nous dégoûterait de la vie si nous devions rester ses esclaves ».
La liste des victimes est longue. Charles Maurras les considère de tous les côtés, précisant : « Je n’ai pas besoin de dire que les sergents de ville ou les gardes mobiles qui ont trouvé la mort dans l’obéissance aux ordres absurdes de leurs nouveaux chefs méritent le même hommage que les manifestants massacrés ».
Alphonse Aufschneider, 27 ans ; Constantin Cambouroglou, dit Cambo Costa, 42 ans ; Georges Lecomte, 35 ans ; Georges Roubaudi, 36 ans et tous les autres, nous ne vous oublions pas ! Vous êtes une grande douleur pour l’Action française, mais aussi une grande fierté.
Demain sur nos tombeaux, les blés seront plus beaux…