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Démographie : la France demeure le bonnet d’âne de la croissance en Europe occidentale

Par Ilyes Zouari, président du CERMF (Centre d’étude et de réflexion sur le Monde francophone), www.cermf.org

Comme en 2022, la France s’est classée en 16e position en matière de croissance démographique parmi les 18 pays d’Europe occidentale, hors micro-États. Un manque de dynamisme qui perdure depuis de nombreuses années, de nature à l’affaiblir considérablement, et d’autant plus regrettable que l’Hexagone souffre d’un terrible retard démographique de deux siècles par rapport au reste de l’Europe.

En 2023, la France n’a réalisé qu’un taux de croissance démographique de 0,34%. Elle se classe ainsi une énième fois au bas du tableau des pays d’Europe occidentale, hors micro-États (Monaco, Saint-Marin, Liechtenstein et Andorre), selon les dernières données publiées par Eurostat, le 11 juillet dernier (et par les différents organismes publics de la statistique pour le Royaume-Uni, dont l’ONS au niveau national).

La France encore et toujours en queue de classement

En se plaçant en 16e position, la France arrive très loin derrière Malte, l’Islande et le Luxembourg qui dominent le classement avec des taux de croissance respectifs de 3,87%, 2,84% et 1,69%, soit des progressions 11,4 fois (ou + 1 038%), 8,3 fois (+ 735%) et 5 fois (+ 397%) supérieures à celle de la France. Les deux premiers pays se classent même parmi les champions mondiaux en la matière, dépassant la quasi-totalité des pays d’Afrique subsaharienne, région démographiquement la plus dynamique au monde.

La France arrive également très loin derrière la Suisse et l’Irlande, qui suivent aux quatrième et cinquième places du classement, avec des taux de croissance respectifs de 1,64% et 1,36%, soit 4,8 fois plus (+ 382%) et 4 fois plus (+ 300%) que l’Hexagone. De même, celui-ci a été très largement dépassé par l’Espagne et le Royaume-Uni, deux pays voisins de dimension comparable et se classant en huitième et neuvième position, avec une hausse de la population de 1,09% (soit 3,2 fois plus, ou + 221%) et 1,01% (3 fois plus, ou + 196%). Ce qui correspond à un gain de 685 000 habitants pour le Royaume-Uni et de 525 000 pour l’Espagne, contre seulement 229 000 pour la France (dont la population totale vient donc, en 2023, d’être dépassée par celle du Royaume-Uni, qui compte désormais 68,8 millions d’habitants, contre 68,4 millions). De son côté, et bien que moins dynamique, l’Allemagne a de nouveau enregistré une progression supérieure à celle de la France, de l’ordre de 0,40% (soit tout de même + 18%). Dans ce tableau de 18 pays, cette dernière n’est parvenue à devancer que la Suède et l’Italie, avec leurs évolutions respectives de 0,29% et – 0,01%.

Loin d’être récent, ce retard de la France ne fait que confirmer une tendance déjà observée depuis de nombreuses années, et en particulier sur la dernière décennie. En effet, et sur la période décennale 2014-2023, la France ne se classe qu’à la 14e place parmi ces 18 pays d’Europe occidentale, avec une croissance démographique annuelle de seulement de 0,33%, très loin derrière le trio de tête également constitué, et dans le même ordre, par Malte, l’Islande et le Luxembourg (respectivement 2,75%, 2,05% et 2,03%). Mais aussi très loin derrière l’Irlande et le Suisse, qui occupent les quatrième et cinquième places (1,43% et 0,97%), et surtout loin derrière le Royaume-Uni, qui se classe également en neuvième position avec une croissance annuelle de 0,67%. Un dynamisme britannique qui a donc été 2,1 fois supérieur à celui de la France (+ 106%), ce qui correspond à un gain total de 4,5 millions d’habitants, soit 2,2 millions de plus que l’Hexagone. Quant à l’Espagne, qui a mis un certain temps à se remettre de la crise financière mondiale de 2008, celle-ci a également connu une croissance annuelle significativement supérieure à celle de la France, s’établissant à 0,44%, soit un tiers plus élevée (+ 33%).

Maigre consolation, la France est tout de même parvenue à réaliser une progression annuelle identique à celle de l’Allemagne sur la décennie écoulée (0,33%). Toutefois, il convient là de noter que la position légèrement meilleure de la France sur cette période est en bonne partie due à la pandémie de covid-19, qui permit à l’Hexagone d’atteindre une exceptionnelle huitième place en 2020, grâce à la réduction drastique des flux migratoires internationaux à destination de l’Europe.

En effet, la croissance démographique européenne résulte désormais essentiellement ou exclusivement, selon les pays, de l’immigration internationale. Si cette immigration était principalement d’origine européenne pour la grande majorité des pays d’Europe occidentale jusqu’au milieu des années 2010, et jusqu’en 2020 pour le Royaume-Uni (à l’exception notamment de la France, qui fut le seul pays à entraver et décourager celle en provenance d’Europe de l’Est, qui avait fourni plusieurs millions de travailleurs en seulement deux décennies), les flux migratoires sont désormais majoritairement d’origine asiatique, au sens large du terme (Moyen-Orient, sous-continent indien, Chine, Philippines…), pour de nombreux pays d’Europe occidentale. Parmi les pays n’en faisant pas partie, il est possible de citer les cas intéressants de la Suisse et de l’Espagne, la première recevant une immigration toujours essentiellement européenne (77% hors Turquie en 2022, selon les dernières données disponibles), et la seconde bénéficiant désormais de flux migratoires très majoritairement latino-américains, essentiellement en provenance d’Amérique hispanique, qui a fourni non moins de 83% du solde migratoire international en 2023 (soit un gain d’environ 480 000 hispaniques).

La montée en puissance du Royaume-Uni et de l’Espagne

Grâce aux politiques d’attractivité mises en place, la plupart des pays d’Europe occidentale devraient donc connaître une progression significative de leur population au cours des prochaines années, et même des quelques prochaines décennies pour certains d’entre eux. Et ce contrairement à toutes les projections démographiques précédemment établies, y compris celles venant d’être publiées par l’ONU, en juillet dernier, et comportant de nombreuses et surprenantes anomalies, en tenant insuffisamment compte, dans leur scénario central, des flux migratoires enregistrés ces dernières années par les pays d’Europe occidentale (et même parfois pratiquement pas…).

Ainsi, et à titre d’exemple, l’ONU prévoit pour les dix prochaines années un niveau d’immigration annuel près de deux fois inférieur à la moyenne observée au cours des cinq dernières années pour la France, 4,1 fois inférieur pour l’Allemagne, et même 5,5 fois inférieur pour l’Espagne (soit seulement 81 000, au lieu de 448 000 sur la période 2019-2023). Ce qui ne peut naturellement qu’aboutir à des écarts colossaux avec la réalité observée, année après année, comme par exemple en prévoyant une baisse de 11 000 habitants pour l’Espagne et de 287 000 habitants pour l’Allemagne en 2024, alors que qu’il est désormais acquis que ces deux pays gagneront de nouveau quelques centaines de milliers d’habitants cette année (après des gains de 525 000 et 330 000 habitants en 2023, respectivement).

Ainsi, et si les niveaux de natalité et de mortalité retenus par l’ONU paraissent raisonnables pour un scénario central, il est plus qu’évident que d’importantes corrections s’imposent pour les niveaux des flux migratoires ayant servi à l’élaboration des projections manifestement irréalistes de l’ONU. Par conséquent, et en retenant, dans le scénario central, un solde migratoire international annuel égal à la moyenne observée au cours des cinq dernières années (soit, et bien que cette période ait été impactée par la crise liée à la covid-19, un niveau souvent très largement supérieur à celui retenu par l’ONU, mais qui demeure tout de même souvent bien inférieur à celui observé au cours des deux dernières années, par exemple de près de 40% pour le Royaume-Uni et l’Espagne), l’évolution démographique projetée des pays d’Europe occidentale se révèle alors bien différente que celle indiquée, avec notamment des hausses particulièrement remarquables en valeur absolue, compte tenu de leur niveau actuel de population, pour le Royaume-Uni et l’Espagne. En effet, ces deux pays compteront dès lors 85,2 millions et 63,5 millions d’habitants en 2060, respectivement, soit des gains de 16,4 millions (+ 23,8%) et 14,8 millions (+ 30,5%), alors que les projections centrales de l’ONU ne tablaient que sur des niveaux de 76,0 et 42,4 millions d’habitants, respectivement (soit une différence de 9,2 millions pour le Royaume-Uni, et un écart record de 21,1 millions pour l’Espagne).

De son côté, la France comptera 72,2 millions d’habitants à cette date, en hausse de seulement 5,6% (contre 70,7 millions selon l’ONU, départements d’outre-mer compris, soit un écart de 1,6 million). Elle sera ainsi largement distancée par le Royaume-Uni, qui vient de la dépasser en 2023 grâce à une progression deux fois supérieure au cours de la dernière décennie, et verra son avance sur l’Espagne réduite de plus de moitié. De plus, elle demeurera loin derrière l’Allemagne, qui trônera encore avec une population de 86,9 millions d’habitants (contre seulement 75,7 annoncés par l’ONU), et ce sans même tenir compte, dans l’élaboration de ce scénario central, de 80% des réfugiés ukrainiens arrivés dans le pays en 2022 et 2023 (en raison du caractère exceptionnel et massif de ce mouvement migratoire). Ainsi, la France ne parviendrait même pas à réduire significativement son retard par rapport à l’Allemagne, tout comme elle n’a d’ailleurs pu le faire au cours de la dernière décennie, alors même que bon nombre d’études annonçaient qu’elle redeviendrait bientôt la première puissance démographique européenne, après la Russie. Occasion de rappeler, au passage, qu’il est désormais possible de constater à quel point de très nombreux organismes, publics ou privées, ayant réalisé des projections démographiques dans le passé pour les pays occidentaux, se sont lourdement trompés…

Par ailleurs, notons que la montée en puissance de l’Espagne résulte d’une immigration massive en provenance des pays d’Amérique hispanique, qui lui ont déjà fourni non moins de trois millions d’habitants depuis le début des années 2000 (solde migratoire, auquel s’ajoute la descendance). Un niveau d’immigration élevé, de manière plus ou moins légale (avec notamment près de 150 000 demandeurs d’asile hispaniques arrivés par avion en 2023, soit 92% du nombre total de demandeurs d’asile), et clairement encouragé par les autorités du pays, qui facilitent grandement l’insertion professionnelle des immigrants, même illégaux. Mais ces flux migratoires atteignent désormais de telles proportions, bien supérieures aux besoins réels du marché du travail et de la pénurie de main-d’œuvre découlant de l’effondrement de la natalité, que l’on peut désormais parler d’une véritable politique de peuplement du territoire – non officiellement reconnue, par transfert massif de populations latino-américaines (et s’inscrivant possiblement dans le cadre d’une stratégie ayant pour ambition secrète de faire de l’Espagne la première puissance démographique et économique européenne d’ici la fin du siècle…).

Le terrible retard démographique de la France

Le manque de dynamisme démographique de la France, qui souffre d’ailleurs d’un déficit en naissances quasi continu depuis 49 ans (avec notamment un indice conjoncturel de fécondité inférieur au seuil de renouvellement des générations depuis 1975 !), est d’autant plus regrettable et dramatique que celle-ci est déjà fortement affaiblie par un retard démographique de deux siècles par rapport aux autres grandes puissances européennes, et que le bref et léger baby-boom de l’après-guerre ne permit guère de rattraper (avec un indicateur conjoncturel de fécondité n’ayant jamais dépassé les 3,04 enfants par femme).

D’ailleurs, si la France était proportionnellement aussi peuplée que le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie, elle compterait, pour sa seule partie métropolitaine, non moins de 154, 128 et 107 millions d’habitants, respectivement. Et si l’on devait étendre cette comparaison au Japon, à la verdoyante Corée du Sud – aux deux tiers recouverte de forêts – ou à la partie uniquement non désertique et habitable de l’Égypte (dont les 106 millions d’habitants se concentrent sur seulement 6% du territoire), la France métropolitaine abriterait respectivement 181, 281 et… 972 millions d’habitants !

Ce retard considérable puise ses origines dans la très lente progression de la population française entre 1750 à 1945. Au terme de ces deux siècles perdus, celle-ci n’a ainsi été multipliée que par 1,6, alors que dans le même temps, et également dans leurs frontières actuelles, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne multipliaient la leur par trois, les Pays-Bas par quatre, et le Royaume-Uni par six !

Pourtant, l’essor démographique des autres pays européens se fit en dépit de lourdes pertes humaines, dues aux nombreux conflits et, surtout, à l’importante hémorragie migratoire qu’a connue le continent… à la seule et unique exception de la France. Sur cette période de deux siècles, guerres et émigration confondues, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie ont ainsi perdu entre 20 et 25 millions de nationaux, chacun au total, tandis que l’Hexagone ne subissait qu’une « modeste » saignée d’environ 4 millions de personnes.

La France a donc longtemps été, démographiquement, le membre malade de l’Europe et du monde. Elle, qui était trois fois plus peuplée que le futur Royaume-Uni, en 1750, et aussi peuplée que le Japon vers 1800. Une situation qui résultait d’une déchristianisation précoce, ainsi que d’une propagation bien plus importante que partout ailleurs des simplistes idées malthusiennes, qui ne cessent pourtant d’être infirmées génération après génération. Ce qui n’empêche pas pour autant certains responsables politiques français, cherchant à dissimuler leur incompétence, d’évoquer parfois l’existence d’un lien entre chômage et natalité, plus élevés qu’ailleurs, comme l’avait encore fait François Hollande au cours de son mandat. Pourtant, dans l’année qui précédait la fin de celui-ci, en 2016, douze des quatorze pays de l’Union européenne ayant connu une croissance démographique totale supérieure à celle de la France, avaient terminé l’année avec, à la fois, une croissance économique supérieure et un taux de chômage inférieur…

Le déclin démographique de l’Hexagone ne fut naturellement pas sans conséquences sur son influence, et contribua même dans une large mesure au déclenchement des deux grandes guerres mondiales. En effet, si les équilibres démographiques étaient restés inchangés, l’Allemagne, moins sûre d’elle, n’aurait probablement jamais été aussi belliqueuse en 1914. Et la France, non effrayée par son écrasante infériorité numérique, n’aurait sans doute jamais cherché à mettre à genoux l’Allemagne après 1918, favorisant ainsi l’émergence du nazisme… Ainsi, si certains pensaient bien faire en faisant moins d’enfants, ils ont en réalité, et involontairement, provoqué la mort de plusieurs dizaines de millions de personnes.

Déjà lourdement affaiblie par les inepties malthusiennes, la France ne doit plus continuer à se laisser piéger par les prophètes de l’apocalypse et les théoriciens de la surpopulation humaine, auxquels l’Histoire a toujours fini par donner tort, faute d’avoir correctement apprécié le potentiel de la Terre et le génie humain (exploitation jusqu’à présent d’une infime partie des ressources naturelles renouvelables et non renouvelables de la planète, progrès constants de la science… sans parler des perspectives infinies qu’offre l’univers). En s’affranchissant de leur fanatisme et de leurs idées simplistes, elle pourrait alors rattraper progressivement son terrible retard démographique sur ses grands voisins, redynamiser son économie, augmenter considérablement la taille de son marché intérieur et de son PIB, et gagner grandement en influence économique et géopolitique en Europe et dans le reste du monde.