Nadège Cordier
Un texte court à l’honneur : un discours. Celui prononcé par Alexandre Soljenitsyne à l’Université d’Harvard le 8 juin 1978.
Revenons un instant sur l’auteur pour mieux comprendre ses écrits. Ayant eu le mauvais goût de critiquer celui que tous devaient aduler, il est arrêté en 1945 puis condamné pour activité contre-révolutionnaire, bien qu’ayant été décoré trois ans plus tôt pour s’être distingué par une conduite exemplaire sur le front. Il restera près de huit ans dans ce camp de travail duquel il sortira sans pour autant pouvoir rentrer en Russie avant 1959. Bien que publiant à partir de 1962, il doit travailler dans la clandestinité, la police saisissant quelques-uns de ses ouvrages. Son existence en URSS devenant trop difficile, en 1974 il prend alors le chemin de l’exil, d’autant qu’il a été déchu de sa nationalité.
Sa principale préoccupation est de lutter pour la vérité, c’est ce qu’il fait notamment dans L’archipel du goulag. Ici, c’est du Déclin du courage que je veux parler, titre qu’il a donné au discours dont il est question. Ayant indiqué que les États occidentaux modernes s’étaient formés sur le principe selon lequel « les gouvernements avaient pour vocation de servir l’homme et que la vie de l’homme était orientée vers la liberté et la recherche du bonheur », il constate ensuite dans ce modèle la suprématie du droit sur la morale et voit que l’idéal de liberté se traduit souvent par un « débridement des passions ». De fait, le « progrès social et technique » a permis la mise en place d’un « État assurant le bien-être général. Chaque citoyen s’[étant] vu accorder la liberté tant désirée et des biens matériels en quantité et en qualité propres à lui procurer, en théorie, un bonheur complet, mais un bonheur au sens appauvri du mot, tel qu’il a cours depuis ces décennies ».
Cette quête de confort, cette volonté de toujours vouloir plus, d’accumuler, même sans nécessité, aboutissent finalement à la mollesse de l’esprit et à la formation d’individus toujours facilement manipulables dès lors que leur niveau de vie est celui qui correspond à leur idéal. Mais alors la standardisation de l’individu guette, tapie dans l’ombre d’abord pour rapidement occuper le devant de la scène, et enfin plus aucune volonté de courage, d’envie de se dépasser ne point, plus aucune étincelle révélant un caractère vaillant ne luit dans les yeux éteints et gavés de confort des populations modernes.
Je ne saurais terminer cet article sans une longue citation d’Alexandre Soljenitsyne ce jour de juin 1978 : « Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l’Ouest aujourd’hui pour un observateur extérieur. Le monde occidental a perdu son courage civique, à la fois dans son ensemble et singulièrement, dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque État, et bien sûr, aux Nations unies. Ce déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante, d’où l’impression que le courage a déserté la société tout entière. (…) ».
Bonne lecture à tous !