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Trois leçons de démocratie

Par Philippe Mesnard

Les puissants, les démocrates sincères (ce ne sont pas forcément les mêmes) et les professionnels du peuple sont en train de nous administrer trois leçons de démocratie grandeur nature qu’il convient de recevoir avec joie et humilité.

Aux États-Unis, Trump a fait nommer des juges “conservateurs” à la Cour Suprême, c’est-à-dire qu’il a poursuivi la politique de tous les Démocrates qui l’ont précédé : utiliser le pouvoir exorbitant de cette cour pour influer sur la législation. Rappelons au passage que ces magistrats sont des… magistrats ! c’est-à-dire que ce sont des professionnels de la chose judiciaire. Nul Fabius (nommé par Hollande), nul Juppé (nommé par Ferrand), nulle Gourault (nommée par Macron), non, de vrais magistrats, avec une vraie carrière, choisis à l’issue d’une pénible et publique sélection. Ils viennent de révoquer l’arrêt Roe contre Wade, débattu depuis 50 ans (il paraît que le débat est démocratique), en y mettant les formes, ce qui signifie que toutes les législations des États américains sur l’avortement ne sont plus contraintes par un droit constitutionnel garanti au niveau fédéral. Autrement dit, ces juges, dans le cadre d’un État fédéral, viennent de rendre un peu de pouvoir législatif aux états qui le composent. Horreur ! Un organisme fédératif considère que ce sont les États qui doivent décider des lois en fonction de leurs peuples et de leurs cultures ! Sacré coup porté à la démocratie contemporaine qui chérit la souveraineté au point de réserver son usage aux mains les plus rares et les plus saintes. Oh mais v’là-t’y pas, Brett (1), que tu m’as mis de la démocratie partout, c’est quoi c’t’affaire ! On comprend l’émotion très légitime des démocrates français et unionistes. Belle leçon.

Pendant ce temps, les Français, justement, ont voté avec leurs pieds. Totalement dégoûtés par une classe politique insensible à leurs vraies souffrances ou totalement asservis par un État qui a décidé de les transformer en perpétuels assistés, une bonne grosse moitié n’a pas voté aux législatives après qu’un petit tiers n’a pas voté à la présidentielle. Par le jeu du scrutin uninominal majoritaire à deux tours (dont le nom seul souligne la simplicité sans calcul), présenté comme un petit chef-d’œuvre d’intelligente représentativité, le Rassemblement National et LFI se voient dotés d’un fort contingent de députés. Faillite de la République, dévoiement de la démocratie ! clament aussitôt les gens pondérés qui aiment qu’on éborgne les Gilets jaunes tout en vendant nos industries aux Américains. Et Emmanuel “El Presidente” Macron explique gravement d’une part que la France, seule vraie démocratie au monde, phare illuminant les autres nations, ne peut être gouvernée sans majorité, laissant perplexe l’intégralité de ses partenaires européens qui pratiquent la coalition ; d’autre part qu’en tant que « président de tous les Français » (sicut dixit) il entend former un gouvernement en excluant immédiatement NUPES et RN, qui représentent près de la moitié des députés, et donc des Français, ces partis n’étant pas des partis de gouvernement, c’est-à-dire qu’ils risqueraient, eux, d’opposer les Français entre eux, et même, pire, de creuser les déficits – et il faudrait être bien sot ou bien mesquin ou bien partisan pour reprocher à Macron ces deux irrémissibles péchés, n’est-ce pas ? Au passage, on tente de finasser avec le règlement de l’Assemblée nationale, qui permet en effet toutes les finasseries. Là aussi, recevons cette leçon comme il se doit.

En parallèle, l’Église est au milieu de son beau processus du Synode sur la Synodalité dont on peut espérer qu’il sera un vrai moment de chrétienne démocratie. Dans le monde entier, les vieux progressistes satisfaits, installés dans le précaire confort de leur-s diocèses appauvris, de leurs paroisses vidées et de leurs médias aveugles, ont organisé des groupes de parole et des instances de dialogue où ils ont pris la parole avant de pondre des synthèses admirables, certes mises au point par les secrétariats, sur le modèle romain des précédents synodes, tout en se vantant d’avoir fait parler le peuple. En France, par exemple, 150 000 catholiques ont participé à ces agapes de l’esprit. L’évêque de Troyes, Alexandre Joly, chargé du synode, a donc déclaré : « Ceux qui ont une habitude de prise de parole dans l’Église y sont allés naturellement. Il a manqué la génération des 20-45 ans. Les paroles exprimées ne sont pas celles de toutes les sensibilités, de toutes les générations, mais c’est la parole d’un très grand nombre. » Il n’a manqué à cette consultation, démocratique, que plusieurs millions de fidèles et toute une classe d’âge, les 20-45 ans, qui n’a effectivement rien à dire et n’est pas du tout engagée dans l’Église et ses œuvres. Et pourtant, tout avait été fait pour démocratiser la chose : par exemple, « chez nous, c’est le prêtre qui a choisi les participants au synode, et les autres devaient prier pour eux » (La Vie) : est-il rien de plus serviable, de plus ecclésial, de moins clérical, de plus démocratique, en un mot ? Avalons la leçon. Et si bien et triplement enseignés sur les mérites de la chose démocrate, tirons-en la conclusion logique. ?

1. Brett Kavanaugh, nommé par Trump à la Cour suprême en 2018. Il vient d’échapper à une tentative d’assassinat.

Publié le 1er juillet dans Politique Magazine  https://politiquemagazine.fr/