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Nucléaire civil : à Belfort, Emmanuel Macron atomise la campagne

Par Louis Daufresne 

Il est intéressant de noter que le tueur en série revient sur le lieu de son crime. Celui qui a organisé la cession d’ALSTOM un fleuron de notre industrie stratégique à Général Electric, en complicité notamment avec Jérôme Pécresse (l’époux de la reine Valérie) bombardé directeur général de l’entreprise américaine. Certes la France rachète aujourd’hui le volet nucléaire de GI au double du prix auquel il avait été cédé, mais les secrets technologiques en matière nucléaire sont définitivement acquis par nos concurrents d’outre Atlantique.  Tandis que Macron était secrétaire général adjoint de l’Élysée puis ministre de l’industrie, il a procédé au saccage de notre industrie de pointe, alors il est croustillant de le voir se parer des vertus du défenseur de l’indépendance nationale. (AF)

Deux mois avant la présidentielle, alors qu’il n’est toujours pas candidat, Emmanuel Macron pose un acte régalien de grande envergure. Après avoir joué le diplomate européen en Ukraine, il revêt les habits gaullistes de l’indépendance nationale en reprenant, selon ses mots, « le fil de la grande aventure du nucléaire civil en France ».

Suivant sa logique de guerre de mouvement, le chef de l’État tranche et tue ce débat qui divise les candidats, certains voulant sortir du nucléaire (écologistes ou insoumis), d’autres y étant favorables (à droite mais aussi au Parti communiste). Ce vaste plan de relance de l’énergie atomique oblige les autres à se positionner, et permet ainsi au président de demeurer le maître du jeu.

Pourtant, en 2017, l’héritier de François Hollande envisageait de réduire le nucléaire à 50% de la production électrique. Comment expliquer ce tête-à-queue ? Emmanuel Macron invoque l’esprit du temps : « La décennie passée, s’écria-t-il à Belfort, a été marquée par un doute international sur le nucléaire », consécutif à la catastrophe de Fukushima. On vit des nations se désengager de cette énergie. La France ne fit jamais ce choix mais semblait douter de son modèle. Désormais, « il y a rupture du temps passé », observa le président de la République, les conditions sont maintenant réunies pour la renaissance du nucléaire ».

Ce choix contient un message à court, moyen et long terme :

Á court terme, il s’agit de rassurer les Français et de démobiliser la rue. Rassurer, c’est indiquer que le coût de l’énergie ne dépendra pas des importations dont la hausse des cours pèse sur leur pouvoir d’achat, autre thème de la campagne. Déminer, c’est envoyer un signe au populisme sanitaire du convoi de la liberté qui, roulant vers Paris, fait resurgir le spectre d’une convergence des luttes entre antipass, antivax et gilets jaunes, sur fond d’inflation.

Á moyen terme (celui de la campagne…), il s’agit de torpiller des adversaires à gauche et de tétaniser des rivaux à droite, sur les fronts de l’écologie et de la souveraineté. Ces deux dossiers sont liés l’un à l’autre à travers l’énergie :

D’abord l’écologie. Plutôt que de sortir du nucléaire, il s’agit de restaurer son image, d’en faire une énergie verte, de la juger indispensable, compatible avec le renouvelable. Emmanuel Macron eut l’habileté d’assortir son plan d’un coup de pouce à l’éolien marin et au solaire, et d’un coup de frein à l’éolien terrestre. En détail, il veut doter la France d’une cinquantaine de parcs éoliens en mer pour « viser 40 gigawatts en service en 2050 ». Ce seuil est jugé très ambitieux, le tout premier site ne devant fonctionner qu’en avril, avec 10 ans de retard. Toujours d’ici 2050, Emmanuel Macron désire multiplier par près de dix la puissance solaire pour dépasser 100 gigawatts (contre plus de 13,2 GW aujourd’hui). Sur les éoliennes terrestres, le chef de l’État ne se renie pas mais souhaite avancer plus lentement en multipliant par deux la capacité actuelle en 30 ans, plutôt qu’en 10 ans comme prévu jusqu’à présent. Ces annonces visent à satisfaire à la fois l’écologie de gauche, acquise à la religion du renouvelable, et l’écologie de droite, rétive à voir les paysages défigurés. Mais l’une et l’autre sont fondées à dire que les efforts demeurent insuffisants.

Concernant la souveraineté, Emmanuel Macron s’exprimait sur le lieu de fabrication belfortin des turbines Arabelle dont EDF annonça le jour même le rachat à l’américain General Electric. Ce symbole efface l’épisode de 2015 lorsqu’il consentit, comme ministre de l’Économie, qu’Alstom les cédât au groupe US. Emmanuel Macron parle maintenant d’EDF comme d’« une entreprise de souveraineté, [qui] construira et exploitera les nouveaux EPR [et qui] pourra compter sur le soutien de l’État pour mener à bien ce projet d’une ampleur inégalée depuis 40 ans ».

De 6 à 14 réacteurs sont prévus pour 2050. Un seul EPR est en chantier à Flamanville (Manche) depuis quinze ans et pour un coût très élevé. Six réacteurs EPR2 sur des centrales existantes nécessiteront une cinquantaine de milliards d’euros.

Á long terme, ces décisions doivent aboutir à la mise en service de « 25 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires d’ici à 2050 », une nette hausse par rapport aux quelques 61 GW du parc nucléaire français actuel. Il s’agit d’une révolution au regard de la loi de programmation pluriannuelle de l’énergie de 2020 qui prévoyait de fermer une douzaine des réacteurs les plus anciens. Désormais, Emmanuel Macron ne souhaite qu’« aucun réacteur nucléaire en état de produire ne soit fermé à l’avenir (…) sauf raison de sûreté » et EDF devra « étudier les conditions de prolongation au-delà de 50 ans ».

Cette propulsion du nucléaire s’explique par le besoin de toujours plus électrifier nos modes de vie par le verdissement des voitures et des modes de chauffage ainsi que la décarbonation de l’industrie via l’hydrogène. Le scénario médian fait par RTE, gestionnaire du réseau, table sur une consommation de 645 TWh par an en 2050, soit une hausse de 35% par rapport à aujourd’hui.

L’écologie fait attelage avec l’atome.