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Identité nationale et droits de l’homme : de quoi parle-t-on ? (Partie 1)

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Par Henri Temple

Nous commençons aujourd’hui la publication d’un travail réalisé par notre « compagnon de route » Henri Temple, universitaire et essayiste, sur la notion d’identité nationale. Certains de nos amis seront étonnés de trouver sur un site royaliste une illustration représentant la « déclaration des droits de l’Homme ».

Que la célébration quasi religieuse de la Nation date de la révolution est un fait incontestable, mais que le principe de Nation date des premiers CAPETIENS, en est un également. Du reste Henri Temple montre bien l’enracinement multiséculaire de l’esprit de Nation. Ajoutons, pour être complet, que sous l’ancien régime monarchique, le roi incarnait la Nation. Après l’exécution sanglante de la famille royale et la chute de la monarchie, le « vive le roi » qui jaillissait naguère des cœurs du peuple Français est devenu le « vive la Nation ! » ce qui momentanément a permis de combler le vide né de la mort du père du peuple (qui reste un traumatisme pour les Français), et maintenir la prise en compte du « nous » historique et social, l’espace le plus pertinent de solidarité naturelle comme le pensait Maurras. Du strict point de vue de l’école de pensée d’Action Française, après la mort du roi qui incarnait la Nation, laquelle devint un concept encore très puissant au moment de la Révolution, il est normal qu’aujourd’hui celui-ci se trouve anémié parce-que perçu comme un parti pris idéologique et que se pose avec acuité la question de l’identité. C’est pourquoi nous vous invitons vivement à suivre cette chronique éclairante dans laquelle l’auteur tente une approche à la fois historique, sociologique, politique en s’appuyant sur l’actualité la plus récente et le travail collectif réalisé au sein du nouveau « Front Populaire » créé avec Michel Onfray. Elle paraitra à partir d’aujourd’hui et pendant quatre semaines chaque lundi. (AF)

OPINION. Entre universalisme et identitarisme, qui sommes-nous réellement ? Dans cette réflexion en quatre parties, Henri Temple s’interroge sur la place de l’identité nationale dans notre monde globalisé.

Avertissement. L’étude qui suit est une synthèse abrégée de nos différents écrits sur l’idée de nation. Aussi, s’agissant des développements et des références, le lecteur sera simplement renvoyé à ces écrits et tout particulièrement à notre étude sur l’identité nationale Qu’est-ce qu’une nation en Europe ? (collectif coordonné avec Eric Anceau, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2018). Ce texte y renverra avec l’abréviation : (H.T… id.nat… n.X).

Le présent résumé nous a paru indispensable en ce temps où la société française est si tendue, et les affrontements idéologiques si virulents en pleine campagne pour l’élection présidentielle d’avril 2022. Le seul mot de « nation » entraîne les réactions agressives de certains penseurs et politiciens, alors que, pourtant, l’idée de Nation est un pilier des grands textes philosophiques universels. Et l’universalisme lui-même — qui est la foi dans l’humanité — est désormais dénié ! De nouveaux inquisiteurs substituent le procès d’intention à l’argumentaire, et leurs réquisitions d’accusateurs publics réclament l’interdiction de participer au débat public, voire de se présenter à des élections : la reductio ad Hitlerum… Quant à l’opinion majoritaire, elle est décontenancée par les imprécations qu’elle endure, mais elle est plus que jamais en attente de réponses à ses demandes, diffuses, mais intenses.

Pourtant l’idée de Nation fut à l’origine une idée de gauche avant d’être excommuniée par les communistes, haïe des trotskystes, et, simultanément, bannie par le capitalisme cosmopolite spéculatif : des groupuscules anarcho-gauchistes, violents, aux financements douteux, se disant « No border, no nation », convergent étonnamment avec les objectifs du business mondialiste… Des modes intellectuelles indigentes, conçues en France dans les années 60, y sont revenues depuis les campus américains où elles ont été transformées en monstres philosophiques et sociétaux. Ces monstres sont souvent l’expression de frustrations personnelles, prétextes à des haines irrationnelles : racialistes, racistes, christianophobes, misandres…

L’humanité, depuis ses origines et pendant des millénaires, a recherché le progrès technique et le progrès moral. Sa quête s’est construite à la fois sur l’observation du réel, la maîtrise de la pensée, la recherche de la sagesse et du bien commun. Si les Grecs furent de prodigieux précepteurs dont nous sommes à jamais débiteurs, c’est toute l’humanité qui a recherché cette voie. Ainsi découvre-t-on de puissantes analogies entre Platon et Confucius alors qu’ils n’ont pas pu se connaître. Il faut lire le Dalaï-Lama pour apprendre que les sages tibétains ont, il y a 2000 ans, fait des emprunts aux philosophies grecques. Ainsi se sont construites spontanément, entre tous les peuples et au fil des siècles, des convergences intellectuelles et philosophiques. Mais l’heureuse et lente convergence de l’humanité vers des valeurs communes n’implique absolument pas la disparition des nations qui sont l’essence et le cadre de cette humanité. Or voici que des intellectuels iconoclastes, le verbe haut et mauvais, décrètent que ce monde ancien doit être « déconstruit ». En réalité, détruit. « Déconstruire », détruire ? Mais pour construire quelle autre société ? Cette « sédition », intellectuellement indigente, est incapable de formuler la moindre esquisse d’avenir. Aussi nous a-t-il paru opportun de rappeler le caractère indispensable, sinon sacré, des Nations dont la souveraineté et l’identité sont des droits de l’Homme.

La pensée classique, qui s’est construite au fil des siècles, n’a été remise en question que très tardivement, par le mouvement agressif et destructeur du « wokisme intersectionnel » actuel (à ce sujet, lire Eugénie Bastié, La guerre des idées, 2021 ; Mathieu Bock-Côté, L’Empire du politiquement correct, 2019, mais aussi Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Pierre-André Taguieff…). La philosophie politique — pour Aristote, la philosophie première — ne s’est développée que très tardivement. Car d’Alexandre le Grand à Guillaume II, l’Europe oublia, pendant 2000 ans, la démocratie athénienne et la République romaine, sous l’emprise de dynasties héréditaires, monarchiques ou impériales, parfois absolues, totalitaires, voire sanglantes. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que se produisirent des révolutions de la pensée politique : l’équilibre des pouvoirs chez Montesquieu. Et surtout l’idée de « Souverain » chez Rousseau, qui fusionne les notions de démocratie et de Nation : seule la Nation est souveraine. Mais alors la théorie de la nation n’est pas encore complètement dégagée. En particulier la notion « d’identité nationale », gâchée par le misérable « débat » de 2010, avait été abandonnée, donnant ainsi des armes faciles à ses contradicteurs, même de bas niveau. Or il n’existait pas de Théorie générale de la nation : Michelet n’était pas satisfait de son travail (Le Peuple, 1846-1871), Marcel Mauss n’avait pas pu finir le sien, et y avait renoncé (dès 1922) jusqu’à sa mort. Et Edgar Morin constatait que cette théorie restait à écrire — une première tentative de regard complet : H. Temple, Théorie générale de la nation, op.cit.

Les débats de la campagne présidentielle de 2022 qui commence sont à nouveau axés sur la souveraineté, l’immigration, l’identité. Il en sera longtemps ainsi : le réel est tenace. Ces débats laissent pris à l’idée que ce sont les immigrants qui sont visés en eux-mêmes, et tombent dès lors sous le coup d’attaques au prétexte des droits de l’homme ou de l’antiracisme ; parfois aussi des considérations d’un certain patronat ou de ses politiciens liges, à Berlin, Paris ou Bruxelles, en quête de main-d’œuvre bon marché. Ou même au Vatican — contra le bon sens du Guinéen, Mgr Sarah, qui comprend l’islam, dans lequel il baigne, ainsi que les besoins des pays d’émigration.

Mais rien ne saurait dissimuler le fait que la liberté de l’Homme ne peut se concevoir sans la liberté de sa collectivité, sa Nation. Le premier ne peut être libre sans la liberté de la seconde et vice versa. Il en va de même de l’identité : tout être humain a une identité et toute nation a une identité. Liberté (ou souveraineté) et identité sont des droits. Des droits de l’homme.

L’air que l’homme respira sans le savoir durant des millénaires a toute une histoire. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que Boyle démontra que l’air est indispensable à la vie, et au XVIIIe siècle, que Lavoisier en établit la composition chimique. Il en est de même pour la Nation : nous en sommes intimement constitués, nous la composons, elle nous est nécessaire, mais n’est comprise qu’au XVIIIe siècle, devenant alors ce principe fondateur en politique qui s’exprime dans la Déclaration des droits de l’Homme de 1789. Pourtant elle est encore mal analysée en ce XXIe siècle commencé. Car la nation n’est pas un concept simple qui se laisse apprivoiser aisément (pas plus que l’air). La nation est à la fois la réalité que nous sommes et le projet dont nous avons besoin : nous l’inhalons comme l’air, elle constitue notre personnalité culturelle et construit une part importante de notre affect. Elle est le seul cadre possible de vie en commun, la seule architecture possible du monde.

Ernest Renan eut le mérite d’être le premier, avec Michelet, à entreprendre de définir ce concept si nouveau, si longtemps associé à la Révolution : la Nation. Mais, dans la vingtaine de pages de son fameux discours Qu’est-ce qu’une nation ?, Renan consacre l’essentiel à dire ce que la nation n’est pas, ou à faire chatoyer les nuances infinies du concept, en parcourant les siècles et les latitudes. Puis, en deux pages illustres, emphatiques et inspirées, Renan déclame : « La nation est une âme, un principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs, l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble » (le fameux vivre ensemble d’Aristote). Renan sent bien que c’est l’affectivité et l’identité qui importent au fond du cœur humain, mais n’en a pas la preuve : en 1882 la psychologie, la sociologie, l’éthologie n’en sont qu’à leurs débuts. Voici pourquoi il convient de se concentrer sur les conséquences psychologiques individuelles et les conséquences sociologiques collectives de l’immersion nationale, car on en sait désormais beaucoup plus sur ces sentiments et ces élans, à peine entrevus par Renan. Nous découvrirons alors que les droits de l’homme sont venus protéger l’identité culturelle et psychosociologique nationale.

Psychologie, sociologie, sentiments et identité nationale

Les Français — surtout les jeunes et les anciens — sont inquiets et/ou en colère quant à l’avenir de leur pays. Mais on trouve des sentiments analogues dans tous les autres pays d’Europe. Et dans le monde entier, pour les nations en souffrance comme ce fut jadis le cas de l’Italie, la Pologne, l’Irlande ou les peuples d’Afrique et d’Asie. Désormais, les causes de « stress social » les plus couramment invoquées sont le chômage de masse, l’insécurité, le recul démocratique et les sujétions économiques, l’immigration de masse, et bien sûr la crainte d’une perte d’identité. Or les critiques intellectuelles et les stratégies politiques ou économiques dirigées contre les nations n’ont jamais été aussi virulentes. Pourtant les années 60 avaient fait apparaître quantité de nouvelles nations, décolonisées, et les années 90 ont vu des événements historiques majeurs « venus d’en bas », comme le dit Marcel Mauss : démembrement de l’URSS et de la Yougoslavie (1992) ; recrudescences de rébellions nationales (Darfour, Azawad, Tibet, ouïghour, karen, Papouasie, Kurdistan, Palestine, Tigré, Est ukrainien) ; et même des scissions d’États pour des raisons d’incompatibilités socio-nationales : la Tchécoslovaquie devient Tchéquie et Slovaquie en 1993, l’Indonésie perd, en 2002, le Timor-Leste qu’elle avait envahie illégalement, l’Érythrée qui se sépare de l’Éthiopie retrouve sa souveraineté en 1993, et le Soudan du Sud quitte le Soudan en 2011. À l’inverse, on assiste à des amalgames « venus d’en haut » de nations dans des blocs politiques ou commerciaux (OTAN ; Union européenne : Maastricht en 1992, Lisbonne en 2008 ; OMC en 1994).

Ces événements majeurs, contradictoires, lourds de conséquences, ont suscité peu de réflexions approfondies en philosophie et psychologie politiques. Alors qu’il aurait fallu sonder le fait national dans l’un de ses aspects le plus important et le plus mal compris : l’identité nationale. L’être humain a besoin d’une famille, sa cellule de base (d’abord celle de son enfance ; puis celle qu’il construit lui-même en tant qu’adulte) ; la famille a besoin de la protection de la nation, qui est une famille de familles : et l’humanité ne devrait-elle pas être une famille de nations ? L’identité nationale participe intimement de l’essence de l’homme.

Que signifie « identité » ? Ce terme a plusieurs sens, pas toujours compatibles. Écartons les significations mathématiques où « identité » a le même sens que « égalité » entre deux valeurs. En psychologie et en sociologie, c’est au contraire la différenciation qui permet de cerner une identité : les particularités, les différences plus que les ressemblances. L’identité se définit dès lors comme « l’ensemble des caractéristiques qu’un individu ou un groupe perçoivent d’eux-mêmes ou qui sont perçues par d’autres »(H.T… id.nat… n.3). On dit aussi que l’identité est le « caractère permanent et fondamental d’une personne, d’un groupe » (Encyclopédie Larousse en ligne, 2016, V° Identité). L’identité de l’être humain est considérée en soi, mais aussi dans son rapport à la communauté nationale, et dans le rapport avec d’autres communautés. Le mot « identité » vient du latin : id (ceci), idem (ceci même) ; en grec on parle d’essence ou ensemble des caractéristiques permanentes, principales et dominantes, aussi bien pour une personne que pour la collectivité à laquelle elle est rattachée.

Dans les parties suivantes, on distinguera les deux dimensions de l’identité nationale (personnelle et collective) et les facteurs qui sont à l’origine de l’affect qui en découle. Les consensus, alors, convergent inévitablement.