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L’éditorial de François Marcilhac

MACRON ET LA LOGIQUE ARCHAÏQUE DU BOUC ÉMISSAIRE

Ce n’est pas la grossièreté du verbe qui indigne à juste titre les Français : Pompidou avait employé le même, les commentateurs ne se sont pas faite faute de le rappeler, mais c’était justement dans un objectif totalement différent, pour ne pas dire opposé. Oui, ce qui indigne avec raison nos concitoyens, c’est l’objectif du chef de l’Etat, contraire autant à ses devoirs constitutionnels qu’à la dignité de sa fonction : non seulement diviser les Français — la République, régime des partis et de la brigue permanente s’en occupe d’elle-même — mais désigner certains d’entre eux comme de mauvais Français, voire leur dénier la qualité de citoyens, avec les droits et devoirs afférents, faute de pouvoir (encore) la leur ôter (faudra-t-il avoir le passe vaccinal pour voter en avril prochain ?)

On sait depuis son discours des Bernardins, en 2018, que Macron n’a en rien saisi non seulement la spécificité du catholicisme en France, mais plus largement la spécificité du christianisme, le réduisant à, ou plutôt le travestissant en une vague philosophie, un espace de questionnement et de dialogue, marqué par l’humilité. Ce faisant, il lui est impossible de se situer dans ce temps tout à la fois de la Kénose et de l’Épiphanie de Dieu, et donc de la Vérité — « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » — qui, indépendamment de la question même de la foi, bouleverse depuis deux mille ans les rapports entre la Transcendance et l’immanence, le Ciel et la Terre, par la manifestation de ce Dieu inconnu que saint Paul évoque dans son discours sur l’Aréopage. Il était devenu impensable pour un philosophe comme René Girard qu’on puisse se représenter aujourd’hui un ordre social antérieur à la révélation évangélique. Macron réussit, mal, ce tour de force, parce que sa philosophie, qui connaît pour seule transcendance l’utilitarisme et pour seul universalisme le mondialisme (dont l’européisme n’est qu’une déclinaison locale) dénie tout Bien commun, toute unité politique, sociale et civilisationnelle — « Il n’y a pas de culture française. » Il se situe dès lors, sur le plan de l’action, et ce n’est pas la première fois de son quinquennat, dans cette logique du bouc émissaire, logique archaïque en ce sens,  qui n’est pas premier mais le plus communément admis, qu’elle réfère à un temps qui n’est pas encore marqué par la passion et la résurrection du Bouc Émissaire et Innocent absolu, ni par celui d’une histoire millénaire indissociablement liée, encore un fois indépendamment de la question de la foi personnelle, à cet événement fondateur de notre civilisation.

L’indignité de ces propos dépasse en effet le simple cynisme de la fin par tous les moyens, même les moins ragoûtants. Déjà candidat tout en voulant, en même temps, demeurer président, voulant le beurre et l’argent du beurre, il rehausse de sa dimension régalienne des propos d’estrade, affaiblissant du même coup cette première transcendance, dégagée par Boutang, en quelque sorte structurelle, en tout cas consubstantielle à toute vraie autorité politique, qui est de toute nécessité extérieure à la société, ne serait-ce que pour assurer sa dimension arbitrale et viser le Bien commun. « Le souverain » (de superanus, au-dessus) « n’est ce qu’il est qu’extérieur à la société civile ; sans cette situation de transcendance pas d’arbitrage, ni de justice. [1]» Or il fait l’inverse. Reprenant à son compte, voire l’attisant, le ressentiment de certains vaccinés face aux non-vaccinés, il quitte l’autorité de sa fonction — l’autorité est ce qui a pour fonction d’accroître — pour la diminuer en s’abaissant non seulement à partager ce ressentiment, mais en l’exprimant avec une vulgarité qui rend ce ressentiment encore plus éloigné de toute dimension rationnelle. Ce faisant, il justifie par avance, voire encourage certaines dérives qu’il a pour fonction institutionnelle de prévenir. Il entre au café du commerce pour y engloutir la raison politique dans les passions tristes du ressentiment, de la colère ou de la haine, justifiant les voix qui, déjà, même parmi les représentants officiels du peuple, demandent que les non-vaccinés soient traités différemment par la solidarité nationale.

Cette logique dégradante du bouc émissaire repose non seulement sur le fait que, pour Macron, tous les vaccinés ou, du moins, la majorité d’entre eux, seraient persuadés de la culpabilité des non-vaccinés (qu’on amalgame évidemment avec les anti-vax de principe et les complotistes), Macron et ses conseillers n’imaginant même pas que la majorité des vaccinés, loin d’être des militants de la vaccination, y ont recouru seulement pour continuer d’avoir une vie sociale et de travailler — ne leur avait-on pas déjà promis, sinon, de leur « pourrir » la vie ? Peu importe à Macron, même si cette question conditionne, évidemment, la réception dans l’opinion publique de ses propos. Non, ce qui lui importe, c’est de désigner un bouc émissaire en prenant bien soin de l’exclure de la citoyenneté française — un non-vacciné n’est plus un citoyen — et donc, ainsi, en le chassant de la communauté nationale, de refermer derrière lui le cercle de la raison « républicaine » dont il aurait chassé ces individus coupables par définition.

Macron devrait pourtant se méfier : rien n’est plus versatile que l’opinion publique, surtout lorsque le chiffon rouge qu’on lui présente se révèle bientôt insuffisant à expliquer les maux dont souffre la société. Le veut ainsi la logique du bouc émissaire, qu’il peut être remplacé bien vite par un autre. Les Français, après bientôt deux ans de contradictions, d’impéritie et de mensonges, ne se contenteront peut-être pas longtemps de celui qu’on leur désigne. Ils n’hésiteront pas alors à en choisir un autre :  l’hôte indigne de l’Élysée pourrait être alors le prochain sur la liste. Après tout, l’élection présidentielle obéit elle aussi, dans une certaine mesure, à la logique du bouc émissaire.

François Marcilhac


[1] Pierre Boutang, Cour traité du pouvoir légitime, Paris, Plon, 1958, p 90-91