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L’Éditorial de François Marcilhac

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Marine le Pen : un programme qui n’est pas (encore) à la hauteur

Marine Le Pen ne se trompe pas : l’élection de 2022 sera un choix de civilisation, plus encore que de société, ce qui signifie que c’est la civilisation française elle-même qui sera en cause et non seulement la manière d’aménager nos rapports sociaux — même si, évidemment, les deux questions sont intimement liées. La déclaration à Rouen, le même jour que la sienne, d’Anne Hidalgo, faisant le don de sa (petite) personne à la France, l’a bien montré. Son élection, elle dont la candidature est celle de l’incompétence assumée, même si elle n’a guère de risque de convaincre les Français, mènerait notre pays à la catastrophe, simplement en aggravant la pente sur laquelle il est engagé, que ce soit en matière budgétaire, sociétale, d’immigration, d’écologie punitive ou de fracture sociale. Marine Le Pen a donc raison : elle a, du reste, cité Éric Zemmour sans le dire en déclarant que nous sommes « à la croisée des chemins » — c’est le titre du site internet de Zemmour dédié à la promotion de son prochain livre. 

Encore faut-il être à la hauteur de l’enjeu et ne pas se contenter de mesures cosmétiques. Certes, nous ne connaissons pas encore dans le détail un programme qui doit présenter les moyens d’opérer les choix cruciaux que les Français devront faire à partir de 2022. Toutefois, ce que nous en savons pour le moment, loin de susciter l’enthousiasme, nous laisse sur notre faim. Que Marine Le Pen ait vanté dans Le Figaro, où elle était interviouvée la semaine dernière, comme deux mesures phares, la nationalisation des autoroutes et la privatisation de l’audiovisuel public sous prétexte qu’on ne voit plus très bien où est sa spécificité, ne laisse pas d’interroger sur la prise de conscience par la candidate de l’ampleur de la crise que nous traversons.

IMMIGRATION : UN APPEL D’AIR

Certes, elle a aussi proposé, dans son discours de dimanche, une mesure aussi cruciale que « la gratuité des trains », pour les étudiants et les jeunes travailleurs, mais en dehors des heures de pointe (mesquin) ou, plus intéressant, « inspiré par le modèle hongrois », « un prêt aux jeunes parents qui se transformerait en dotation budgétaire dès la naissance du troisième enfant ».  Or le fait que la situation migratoire en France n’est pas la même qu’en Hongrie — mais peut-être l’ignore-t-elle — change tout : elle ne s’aperçoit pas qu’une telle mesure, dans l’état actuel de notre droit et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, au nom du sacro-saint principe d’égalité — s’appuyant de plus, comme le crime sur le vice, sur le principe devenu constitutionnel de fraternité —, représenterait un véritable appel d’air en matière d’immigration, puisqu’il devrait s’appliquer également aux non-nationaux. Or Marine Le Pen ne prévoit aucune modification de la Constitution afin de permettre l’inscription dans notre droit positif de la préférence nationale. De plus, elle est allée jusqu’à affirmer, il y a quelques semaines, qu’il n’était plus question de remettre en cause notre soumission à la Cour européenne des droits de l’homme, sise à Strasbourg, bras juridique de la Convention du même nom… Et ce, alors que le plus européiste des candidats LR aux primaires du parti, l’ancien commissaire Michel Barnier, admettait lui-même il y a quelques jours, qu’il faudrait peut-être s’affranchir de ladite Convention précisément en matière… d’immigration. Certes, on n’est pas forcé de croire en sa sincérité, mais la question n’est pas là : que cet ectoplasme de la supranationalité en arrive à émettre une telle hypothèse montre tout simplement qu’il a conscience que les Français exigent des remises en cause fondamentales. Et c’est le moment qu’a choisi Marine Le Pen pour déclarer son amour à la CEDH !

UN GRAND FLOU INSTITUTIONNEL

Certes, certes, elle a aussi promis, dimanche, de « graver » dans la Constitution, après référendum, la supériorité du droit français sur le droit international. « Les décisions internationales contraires à un principe constitutionnel resteront simplement inappliquées », a-t-elle assuré. Même les jugements de la CEDH ou ceux de la CJUE — la Cour de justice de l’Union européenne, sise à Luxembourg ? Si tel était le cas, cela ne règlerait de toute façon en rien le problème de la jurisprudence du Conseil constitutionnel lui-même, qui part en vrille chaque fois notamment qu’il s’agit d’immigration. Tout cela est bien flou, compte tenu, surtout, de l’enjeu de civilisation en cause…

Marine Le Pen a beau s’afficher comme la présidente des « Libertés, libertés chéries », en dépit de ce pluriel très concret, voire inconsciemment maurrassien (« La liberté n’est qu’un principe vide sans sa déclinaison avec un “s” »), le slogan fait surtout référence à la Marseillaise, où la « Liberté chérie » est bien au singulier, et à la tradition républicaniste qui est désormais l’horizon indépassable du Rassemblement national.

SPÉCIFICITÉ DE L’ÉTAT

En fait, c’est la question de la spécificité de l’État que Marine Le Pen néglige, non tant vis-à-vis de l’insécurité — elle a fait, dimanche, le « job » concernant ce fonds de commerce du FN-RN — que, surtout, en matière de souveraineté intérieure et extérieure. Cela se perçoit jusque dans les deux mesures phares de son projet présidentiel. La nationalisation des autoroutes : pour quoi faire ? Dépenser des milliards en rachat des concessions pour abaisser de 10 % à 15 % le péage, et ce, alors même que les Français les plus précaires n’empruntent de toute façon pas l’autoroute ? Un Etat restauré s’intéresserait surtout à la validité des contrats de concession et se conduirait envers les sociétés d’autoroute comme Philippe le Bel envers les Templiers ou Louis XIV envers Fouquet… Mais voilà, nous ne sommes pas en monarchie, mais en république, laquelle est intimement soumise aux puissances d’argent.

De même, s’agissant de la privatisation de l’audiovisuel public : pour redonner du pouvoir d’achat (avec la fin de la redevance) ? Parce qu’il est de gauche ? Même pas, mais parce qu’on ne verrait plus la différence avec le privé — qui sait, lui aussi, être de gauche et/ou mondialiste. Mais pourquoi ne voit-on plus la différence ? Sinon parce que le modèle du privé est devenu depuis de nombreuses années celui du public, dans la même course à l’audimat par la promotion systématique du médiocre, quand ce n’est pas celle de la vulgarité. Mais Marine Le Pen se moque de livrer aux puissances d’argent l’ensemble de l’audiovisuel alors que l’exemple des pays qui ont fait ce choix prouve qu’il entraîne une baisse catastrophique du niveau. Pourquoi, au contraire, ne pas renouer avec un nouveau modèle de service public ? Peut-on s’en passer dans une société dont les fractures s’aggravent tous les jours ? Ce qui semble malheureusement intéresser davantage Marine Le Pen, c’est d’afficher, en direction d’un public libéral, une mesure d’un thatchérisme ringard, fleurant bon les années 1980 — il y a plus de quarante ans. Oubliant que Thatcher elle-même renonça à privatiser la BBC !

Si les autres mesures phares de son projet présidentiel sont de la même eau, l’espace demeure grand ouvert pour une véritable candidature de rupture, qui prenne en considération dans toute sa gravité l’enjeu de civilisation puisque, c’est vrai, nous sommes « à la croisée des chemins ». Encore ce candidat, pour être crédible, devra-t-il devenir l’homme de la nation et non pas demeurer celui d’une obsession.