Par Louis Joseph Delanglade*
« Une réaction hors du système et contre lui, est encore possible. »
Question : quel est le point commun entre l’équipe de France de football et le Rassemblement National de Mme Le Pen ? Réponse : penser avoir gagné alors que rien n’est encore joué.
Quand ils eurent marqué un troisième but contre la Suisse, alors qu’il restait vingt minutes de jeu, certains joueurs se mirent à danser, ou plutôt à se trémousser de façon puérile et arrogante – oubliant qu’en 1982, une autre équipe de France, plus valeureuse et plus flamboyante, avait déjà sombré à Séville dans la même situation. De même, conforté en cela par les augures menteurs des sondages, et contre l’évidence de ses résultats à la baisse depuis des années (présidentielle exceptée), le R.N. s’est encore complu, de façon irresponsable, dans le rôle du vainqueur par anticipation.
C’était oublier que, depuis ses origines (R.N. ou F.N., c’est tout un), ce parti est instrumentalisé par le système et sert de repoussoir bien commode. Or, plus elle se normalise (certains diront « se dédiabolise »), au prix de renoncements (certains diront « reniements »), plus Mme Le Pen s’enfonce dans les sables mouvants de ce système politicien dont elle subit comme les autres les tendances profondes – aujourd’hui le refus de participer à un scrutin jugé sans intérêt par une majorité de Français. Cela n’enlève bien entendu rien à l’intérêt de nombre de ses positions (notamment la connexion immigration-insécurité-terrorisme) et encore moins à la motivation des suffrages obtenus auprès des électeurs.
Portée au second tour de 2017 par un concours de circonstances fâcheuses pour M. Fillon, Mme Le Pen devançait en fait de peu ce dernier et M. Mélenchon. Mais, c’est aussi un fait, elle a obtenu à ce second tour plus de suffrages que la simple addition des siens et de ceux de M. Dupont-Aignan, dépassant franchement la barre des dix millions de suffrages. Petit miracle si l’on considère le peu de charisme et les limites évidentes de la candidate. Un demi-siècle avant elle, le brillant Tixier-Vignancour terminait quatrième, obtenant à peine plus de 5% et 1 200 000 voix.
En fait, le R.N. capte, au gré des circonstances, une partie, mais une partie seulement, de cette France en proie au malaise, à la frustration, au mécontentement que cause depuis des décennies la marche forcée à l’euro-mondialisation et à l’immigration de masse, facteurs convergents d’insécurité sous toutes ses formes (physique, sociale, culturelle, économique). L’erreur de Mme Le Pen et de ses proches est de se croire propriétaire d’un socle électoral non seulement stable mais en progression. Les voici maintenant lancés dans une présidentielle qui attise tous les appétits, à gauche (on s’en doutait) mais aussi à droite où des candidats déclarés ou potentiels sont très proches du R.N. sur ce que l’on pourrait nommer ses fondamentaux (immigration, sécurité). La désillusion pourrait donc bien être au rendez-vous d’avril 2022.
Et pourtant, en 2017, il y eut cette première vague qui procura à Mme Le Pen le mérite d’avoir été là pour capitaliser sur son nom. En 2018, ce fut la deuxième vague : des centaines de milliers si ce n’est des millions de Gilets Jaunes, malgré excès, dérives et récupération, prouvent alors qu’une réaction hors du système et contre lui, est encore possible. Rien n’interdit de souhaiter, et on peut même penser, qu’il y aura une troisième vague, avec ou sans le R.N., suscitée par la frustration de tous les laissés pour compte de la démocratie indirecte, de tout ce peuple réduit à un « silence » qui devrait servir de « leçon » aux puissants du moment (pour reprendre les termes de l’abbé de Beauvais dans son oraison funèbre de Louis XV).
* Agrégé de Lettres Modernes. Éditorialiste à JSF