Par Gérard Leclerc
Voici la cinquième rubrique de Gérard Leclerc sur « Le legs de l’Action française ». Cette fois-ci, l’initiateur de la réflexion anthropologique maurrassienne, nous donne sa vision de la crise religieuse, occasionnée par la condamnation par Rome en 1926.
Son texte court est fondamental car il conclue que dans la crise majeure que nous vivons, dans les grands débats actuels, l’Action française a quelque chose d’essentiel à dire.
Voilà encore un beau thème d’aggiornamento que les nouveaux militants du XXI° siècle auront à travailler. Ils ne pourront le faire en ignorant leurs deux autres maitres de leur école de pensée : les deux catholiques, les deux Pierre, Boutang et Debray. Pour cela ils pourront commencer par s’appuyer sur les deux numéros spéciaux que la Nouvelle Revue Universelle leur a consacrés (ndlr)
Se place maintenant ici ce que fut l’histoire de l’Action française entre les deux guerres mondiales. Là encore, faute de temps, je vais me limiter à quelques remarques critiques mais très significatives de cette période.
L’Action française a réussi dans les deux domaines dont je viens de parler, la lucidité politique et la séduction culturelle. Elle n’a malheureusement pas encore atteint son objectif final essentiel, le rétablissement de la monarchie. Par ailleurs, elle a été entraînée dans un certain nombre de crises graves qui ont affecté son essor. La principale a été celle de 1926-1927, la condamnation religieuse du mouvement par le pape Pie XI, dont je veux maintenant dire un mot.
J’ai choisi de rebondir sur une formule de Philippe Ariès, grand historien et ami proche de Pierre Boutang. Il parlait de l’Action française condamnée par le pape comme d’un autre Port-Royal. Vous avez peut-être en mémoire la formidable crise politico-religieuse de Port-Royal, qui a terriblement marqué l’histoire religieuse, politique et littéraire de la France au XVIIe siècle, avec Pascal, Racine, et bien d’autres. Philippe Ariès rapprochait donc ces deux crises. Vous avez des milliers de militants d’Action française, par ailleurs excellents catholiques, qui ont été à ce moment-là durement brimés, et même moralement martyrisés, interdits de sacrements, ne pouvant pas se confesser ni recevoir l’Eucharistie, ne pouvant se marier qu’en catimini, comme Maurice Pujo, paroissien de l’église Saint-Augustin, qui dut se marier à la sacristie ! Il a fallu attendre treize ans pour que le pape Pie XII, en 1939, lève les sanctions.
Je ne reprendrai pas le procès – pourtant, Dieu sait s’il m’a occupé dans mon existence, avec toutes ses pièces, les ouvrages de Maritain, etc. – pour ne me centrer que sur la remarque de Philippe Ariès. Oui, ce fut un nouveau Port Royal, en ce sens que l’Action française, mouvement fondé loin de toute appartenance religieuse, dirigée par un maître agnostique rejoint par des agnostiques, des athées et des positivistes – comme l’étaient presque tous les rédacteurs de la Revue grise des origines –, va tenir une place inattendue dans l’histoire religieuse de la France du XXe siècle : elle va se trouver au cœur même de la grande querelle théologique du siècle. Si on l’attaque, ce n’est pas pour son positivisme très relatif ou son prétendu paganisme, mais parce qu’elle a pris position dans cette vaste querelle dont nous vivons encore les suites. Une querelle directement en rapport avec le Ralliement dont je parlais tout à l’heure.
Maurras, un curieux agnostique, tout de même, qui, de son adolescence à sa mort, a porté sur lui le scapulaire de N.D. du Mont-Carmel ! De cet agnosticisme, j’ai une interprétation (qui m’est tout à fait personnelle) : je pense que, pour lui, c’est une arme lui permettant de parler en toute indépendance des questions religieuses, sans engager le religieux lui-même. Laissant intégralement à l’Église, au clergé et aux laïcs catholiques le domaine théologique, il traite des questions religieuses, certes, mais uniquement en ce qui concerne leurs conséquences dans le domaine de la civilisation, de la culture et, bien sûr, de la politique.
Mais, ce faisant, Maurras n’est pas extérieur à la question religieuse. Il est même, sur un point, un des rares esprits rigoureusement orthodoxes : sa doctrine est conforme à celle du concile Vatican I, qui a officiellement affirmé qu’il fallait tenir pour une cause de la crédibilité de l’Église les bienfaits qu’elle a rendus à l’humanité dans l’ordre civilisationnel et temporel. Maurras défend en effet l’idée d’un catholicisme qui n’est pas seulement à l’origine de la civilisation et de la culture françaises, mais à qui l’humanité entière est redevable d’immenses bienfaits. Dans ce qu’il appelle l’Église de l’ordre, il loue moins l’Église qui a façonné la France que l’Église qui a apporté à l’homme sa définition suprême.
L’agnostique Maurras a donc trouvé, d’une manière surprenante, il est vrai, une place bien à lui au cœur même du débat religieux. Je n’irai pas plus loin là-dessus aujourd’hui. Mais si j’insiste sur ce rapprochement avec Port-Royal, ce n’est pas, bien évidemment, pour faire le moindre rapprochement entre la doctrine janséniste et le nationalisme intégral qui n’ont rien de commun. C’est uniquement pour souligner que l’importance prise par l’Action française dépasse de loin le plan étroitement politique auquel on tend souvent à la cantonner. Loin d’être un mouvement politique parmi d’autres, l’Action française se situe au cœur même de la défense de la civilisation. Dans la crise majeure que nous vivons, dans les grands débats actuels, elle a quelque chose d’essentiel à dire, et elle a une expertise qui lui est propre.
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Retrouvez les rubriques de l’été militant 2020 du site de l’Action française :
Par Christian Franchet d’Esperey
1 – Est-il opportun de s’accrocher à un homme aussi décrié ?
2 – Les positions les plus contestées de Maurras ne doivent plus faire écran à ses découvertes majeures
3 – maurrassisme intra-muros et maurrassisme hors les murs
4 – Une demarche d’aggiornamento cest-a-dire de mise au jour
Par Philippe Lallement
Le maurrassisme est-il devenu un simple objet d etude historique
Par Gérard Leclerc