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L’Assemblée nationale : de gauche à droite sans passer par la France

Par Paul Chateauvert, dans Le Bien Commun

« Les idées des partis, les idées diviseuses ont, en République, des agents passionnés ; mais l’idée unitaire, l’idée de la patrie n’y possède ni serviteur dévoué ni gardien armé »1, rappelle Mathieu Bock– Côté, citant Charles Maurras. Une vérification s’impose à l’Assemblée Nationale.

L’outrecuidance de la majorité durant les débats de la dernière législature a achevé de convaincre les derniers sceptiques : l’Assemblée nationale est un grand théâtre où s’opère un jeu de dupes.
Accabler la majorité en place de ce travers serait injuste. Si elle y participe par des stratégies de systématisation de la mauvaise foi, elle n’est pas précurseur dans ce domaine et n’est pas entièrement responsable de l’esprit partisan qui parasite l’Assemblée nationale.

Celle-ci est le rassemblement concret de la Nation qui exerce le pouvoir législatif par le biais des représentants qu’elle élit selon un scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Elle est composée de 577 députés répartis en groupes politiques, à l’exception no- table de quelques députés n’appartenant à aucun groupe que l’on appelle les « non-inscrits ». Des parias ! Des pestiférés pourtant élus comme les autres députés mais qui, pour la plu- part, défendent des idées que la bien-pensance répugne à croire possible- ment représentées au sein d’un hémicycle ontologiquement républicain. En raison de cette condition, les députés non-inscrits se sont vus affubler du titre de « sous-députés », glo rieux s’il en est puisqu’un sous-député reste toujours plus proche de l’être humain qu’un député normal, robot partisan aux ordres de son groupe. Le statut des députés non-inscrits et le poids qu’ils ont au sein de l’Assemblée nationale sont assez bien illustrés par le sort qui est fait aux propositions de lois soumises par ces députés à la représentation nationale. Elles sont inscrites à l’ordre du jour mais ne sont pas débattues et n’ont aucune chance d’intégrer un jour le droit positif, quand bien même elles seraient de pur bon sens : une manière élégamment républicaine de remercier les députés n’étant pas affiliés à un groupe pour leur participation. Toute la perversité du système partisan de l’Assemblée nationale peut s’étudier à travers le prisme des députés non-inscrits. Si vous n’intégrez pas la logique partisane, si vous ne rejoignez pas un parti, si vous osez revendiquer liberté et indépendance, vous n’êtes rien. Le mieux que vous puissiez obtenir, c’est qu’un député de la majorité plagie votre travail et le fasse passer dans l’hémicycle.
L’esprit partisan de l’assemblée entraîne l’extinction des voix dissonantes. Cette volonté de faire taire la contradiction dans le brouhaha des faux débats ne date pas d’aujourd’hui.
Lorsque l’on tape « esprit partisan » sur le moteur de recherche communément adopté, le premier résultat qui apparaît concerne « les députés de Paris ». Si la célérité du rapprochement est amusante, elle n’est pas anodine et la référence aux députés de Paris renvoie aux heures les plus sombres de notre histoire : les premières de la République. Si l’esprit partisan n’est pas objectivement mauvais en ce qu’il renvoie à la notion de conviction, il se trouve dévoyé lorsque ces convictions sont phagocytées pas une mauvaise foi systémique mise au service de cet esprit partisan : tout le monde a l’esprit partisan puisque nous sommes tous animés de convictions, mais l’usage du mensonge et de la veulerie est réservé à une élite.

L’esprit partisan ne survit à l’Assemblée nationale que parce que cette assemblée est institutionnellement liée à la notion d’esprit partisan : l’un ne peut pas aller sans l’autre. L’Assemblée nationale a été imaginée, créée, fondée sur l’idée que l’esprit partisan doit avoir la préséance sur le bien commun de la société. C’est ainsi que se définit la démocratie : c’est la tyrannie de la majorité, le gouverne- ment de la quantité et du nombre au détriment de la qualité.

Lorsque le règne du nombre ne suffit pas, l’idéologie supplée – le système est bien pensé – qui permet ainsi à Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, sans sourciller est que les uns tapent sur les autres ; le service du bien commun ne vient qu’après. Le responsable de ce dysfonctionnement c’est l’esprit partisan inhérent à la Démocratie.

L’esprit partisan de l’Assemblée nationale engendre plusieurs travers. D’abord il dérationalise les débats, ensuite il s’oppose à la notion de service public dans son acception la plus noble.

Les institutions font que les députés de la majorité sont indissociables de l’exécutif, si bien que leurs actions sont réglées comme du papier à musique : on est prié d’applaudir les ministres, de huer l’opposition, de voter en suivant l’avis du gouvernement et du rapporteur. Gare à celui qui s’écarte de ce couloir de bonne conduite. il risquerait d’être prié de changer de groupe ou pire, de devenir un député non-inscrit, meilleure façon de faire taire un adversaire politique. Ce fut le cas d’Agnès Thill notamment, lors de ses prises de position assumées durant les débats sur la bioéthique, mais également de plu- sieurs autres députés En Marche lors de la législature en cours.

L’esprit partisan de l’Assemblée nationale ne sévit pas uniquement dans l’enceinte du Palais-Bourbon. Les rancœurs et les conflits personnels se déplacent en circonscription, en audition, en commission d’enquête, par- tout où l’esprit partisan peut s’instiller pour nuire à ses opposants. La République des partis, ou le système partisan, c’est ne s’intéresser qu’à une catégorie de Français. C’est faire passer le parti avant le pays. Lorsque les membres du gouverne- ment prennent la peine de se déplacer à Chanteloup-les-Vignes mais se refusent à tout déplacement à Béziers au moment où 300 enfants se retrouvent sans école suite à un incendie criminel dont l’auteur le plus âgé a quize ans, on assimile assez vite la République des partis, à la République des amis dont ne font pas partie Robert Ménard, maire de Béziers. Lorsqu’une note du Ministère de la Justice recommande d’attendre les résultats électoraux avant de remodeler la carte judiciaire pour donner des juges à ceux qui ont « bien voté » et en priver ceux qui ont « mal voté », la seule défense du Garde des sceaux consiste à dire qu’il ne s’agissait pas d’une note, mais d’un mail… Tout est pardonné. L’esprit partisan est particulièrement bien illustré à l’Assemblée nationale où la loi de la majorité s’impose comme une tyrannie douce, mais il est en réalité inhérent à la Ré- publique ayant pour glaive le gouvernement, et pour bouclier la majorité ; quant au pouvoir judiciaire, c’est une balance.

Ne nous y trompons pas, il s’agit ici, non pas de tomber dans l’antiparlementarisme bête et méchant, mais simplement de faire une analyse cri- tique de la façon dont sont représentés les Français, qui, dans la réalité ne le sont pas. Les dés sont pipés, le système des partis l’emportera nécessairement, ce qui conduit à l’effrayante conclusion que, pour une grande part, les gesticulations auxquelles on peut assister dans l’hémicycle sont en réa- lité une perte de temps. L’issue des débats est connue d’avance, puis- qu’elle dépend non pas de la force des idées mais de celle des partis, puisque la seule vraie raison pour laquelle un député va aujourd’hui dans l’hémi- cycle est la volonté de passer devant les caméras. Cet hémicycle n’est en réalité qu’une scène où se produisent de bons acteurs, où nous avons troqué Léon Daudet contre Aurore Bergé et abandonné toute idée qu’un débat puisse avoir lieu en dehors de la République, considérant à tort celle-ci comme un principe et non comme un outil.

La meilleure arme de l’esprit partisan, c’est le constat de notre impuissance et la capacité qu’il a à imposer son cadre de référence pour et dans le débat public. Si l’on sort de ce cadre, si l’on s’écarte de ce chemin, non seulement la parole nous est retirée, mais on devient de facto un « infréquentable »2. Hors du cadre de référence, on est un objet politique non identifié. Cet esprit partisan inhérent et indissociablement lié à l’Assemblée nationale ne doit pas faire l’objet d’une considération démesurée. Il est un mal à combattre, mais comme toute émanation de la Révolution, c’est un travers vieux de 230 ans qui ne saurait affecter une France plurimillénaire dans ce qu’elle est réellement.

 Paul Chateauvert

1 Charles Maurras, Mes idées Poli- tiques (1937)
2 Mathieu Bock-Coté, L’empire du politiquement correct (2019)