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Aventure et doctrine

Par Philippe Germain

Nous avons évoqué l’échec du coup d’État, tenté en 1899 par Philippe VIII, le jeune prétendant qui avec l’Affaire Dreyfus a pris parti pour l’armée et pour la patrie. Son projet consiste à séparer la maçonnerie de l’État, à dégager l’autorité et le commandement du bavardage des assemblées, enfin de s’appuyer, contre la fortune anonyme et vagabonde, sur l’armée et sur le peuple. Programme incompréhensible au français du XXIeme siècle, ignorant que le Président du Conseil Henri Brisson, vient d’écrire dans Le Réveil Français (8 décembre1898) : «Nous ne pouvons pas ne pas reconnaître que l’ossature de la République repose sur les juifs, les francs-maçons et les protestants».

           La déconfiture royaliste pourrait pousser Philippe VIII a se replier sur une prétendance d’affirmation du principe mais il va miser sur un nouvel auxiliaire, le néo-royalisme. Effectivement, en riposte du procès en haute-cour de 1899, le journaliste Charles Maurras a élaboré une déclaration des écrivains royalistes, Dictateur et roi. Il y expose une synthèse doctrinale moderne car il en est certain :pas d’aventure capétienne sans doctrine ! Si suite aux échecs stratégiques de 1885 (conservateur), de 1889 (alliance populiste)  et de 1899 (antisémitisme social), la majeur partie de la haute société s’est ralliée à la République, grâce à la doctrine du nationalisme intégral de la jeune Action française, une partie du peuple et de la petite bourgeoisie, va mettre le cap sur la monarchie.

          L’ Action française prend le relai de la Jeunesse royaliste mais en osant imaginer autre chose, non seulement dans le domaine des idées mais aussi celui de l’organisation.

  • Un noyau dirigeant, doctrinalement inentamable.
  • Une revue laboratoire d’idées pour la guerre « culturelle ».
  • Une discipline intellectuelle dont l’absence a causé l’échec des nationalistes.
  • Un Institut de formation/propagande contre-carrant l’enseignement officiel.
  • Un journal de combat pour entraîner et orienter l’activité militante.
  • Des camelots inventant de nouvelles techniques d’agitation.
  • Des slogans pour harceler la République dans ses juges et ses professeurs.
  • Un paradoxal renforcement par la repression policière.

            Ces moyens innovant permettent à l’Action française de rapidement gagner au royalisme de nouveaux groupes sociaux, comme  la jeunesse des écoles et les employés du secteur tertiaire jusqu’alors gagnés au populisme. L’Action française y recrute l’avant-garde du Pays réel afin de mener ses « campagnes d’agitation » vers d’autres groupes. A droite car  l’« état d’esprit » y est au refus de l’ordre politique et à gauche car on y conteste l’ordre social.

          La très violente campagne anticatholique des inventaires (1906) permet a l’A.F.  la reconquête royaliste d’une partie des catholiques perdue avec le Ralliement. Ce groupe social en régression constitue une belle réserve secondaire car la république franc-maçonne l’a amené à radicaliser son opposition pour survivre.

          A gauche la réserve principale de l’A.F. c’est le prolétariat. Ce groupe sociale qui par son dynamisme prend une place de plus en plus déterminante dans la société. Un prolétariat conscient que la « Révolution dreyfusienne[1] » a fourni l’occasion aux politiciens socialistes de rallier la République bourgeoise. D’où la naissance d’un puissant mouvement anti-parlementaire de gauche où le vieil antisémitisme socialiste retrouve sa vigueur. La déception gauchiste de la Révolution dreyfusienne, permet à l’A.F.  son rapprochement « socialiste ».  Les syndicalistes révolutionnaires et les socialistes blanquistes sont convaincus que les parlementaires ne sont nullement les représentants du peuple, mais les commis des puissances d’argent. Ce qui les rapproche objectivement des nationalistes intégraux. Le 1er mai 1908, le secrétaire de la C.G.T., Janvion, pend Marianne à la bourse du travail de Paris et Maurras en tire la conséquence. Oui, la rupture du syndicalisme avec le système parlementaire peut permettre l’intégration de la classe ouvrière dans la nation Conservateur, le prétendant Philippe VIII doute de ce modèle « ouvriériste[2]», pourtant en 1910 il donne son accord, sous-réserve que le coup de force envisagé ne soit pas frappé dans l’eau. La synthèse des contraires va alors s’amorcer avec Terre Libre, le bi-mensuel lancé par Janvion, et Les cahiers du cercle Proudhon, imprégnés du marxiste Georges Sorel.

          La déclaration de guerre de 1914 clos cette option d’une aventure capétienne basée sur la conjonction du nationalisme et du syndicalisme. Le prétendant donne sa ligne politique  :« Attention ! plus de politique ! Face à l’ennemi ! », ce qui va entraîner deux conséquences très lourdes.

          Premièrement, partie pour réformer la société bourgeoise, l’Action française va composer avec elle, au point d’éliminer l’esprit subversif de son origine[3]. En 1914, le combat contre la République est écarté au profit de l’union sacrée contre l’envahisseur. L’Action française soutient le gouvernement socialiste contre le défaitisme et la trahison. Ce qui est antinomique de renverser le régime et ne fait pas l’unanimité militante car la République, jusqu’à fin 1917, pourrait être renversée. Maurras et Bainville, eux, veulent que la guerre soit une leçon sur la pertinence de l’empirisme organisateur, permettant de développer un influence utile. Et il est vrai que la guerre oblige à laisser de coté les faux-semblants démocratique et le redressement promu par le Président Poincaré ressemble assez à une réorganisation monarchique faite sans le roi. Fin 1916, Maurras l’invite[4] à « prendre le pouvoir ». Poincaré l’envisage mais recule par crainte de susciter une crise. En revanche si la doxa d’Action française se normalise, son audience s’accroît formidablement, surtout  loesque Daudet prend en main la chasse aux traîtres. Les français louent alors l’Action française de choisir la France, malgré la République, contre l’Allemagne et I’Autriche, malgré leurs institutions monarchistes. Les royalistes ne sont plus vu comme des émigrés de l’intérieur mais comme les défenseurs de l’ordre.

          Secondement, et probablement plus grave, le gouvernement refuse au

 prétendant de combattre dans l’Armée. Ce refus l’oblige à changer d’option stratégique. Il va maintenant incarner le principe royal en laissant la politique du mouvement royaliste à l’A.F.  A défaut de gouverner les hommes il va prendre de l’altitude dans des voyages d’exploration. Espérant régner par l’attitude, le prétendant s’éloigne de l’incarnation. Choix terriblement risqué car l’incarnation, en monarchie, tout est là. S’il n’y a pas un prince devant qui ployer le genou, l’idée monarchique se réduit à un principe.

          Au lendemain de la guerre, à affaiblissement de l’esprit contestaire de l’Action française, va donc malheureusement correspondre celui de son esprit monarchique : le retour du roi apparaît comme une combat lointain par rapport à la lutte contre une Allemagne toujours menaçante et des partis favorisant les entreprises de l’étranger contre l’unité nationale. Il s’agit moins pour l’Action française de reprendre la lutte antirépublicaine des années 1905-1914 que de porter ses efforts contre l’extrême-gauche, dont le pacifisme risque d’annuler les fruits de la victoire. De son coté Philippe VIII meurt sans enfant en 1926. Après une prétendance de infructueuse de 32 ans, son  successeur est son cousin le duc de Guise.

L’émeute

          La mort accidentelle ( choléra) du duc d’Orléans, Philippe VIII, deux ans après celle de son frères Ferdinand duc de Monpensier, tous deux sans postérité ouvre la prétendance de leur cousin Guise, jusqu’alors effacé, désintéressé à la politique et certainement pas préparé à cette charge. Son épouse en revanche, passionnée de politique est très attachée à l’Action française. Depuis 1924 e duc de Guise se concentre sur l’éducation de son fils Henri afin de le préparer à ce qu’il estime etre une problématique restauration de la monarchie. En revanche, surpris en 1926, il part immédiatement en exil et déclare assumer sa responsabilité et ses devoirs de chef de la Maison de France.


[1]L’expression est du socialiste Georges Sorel.

[2]Lire la réedition de la thèse de Bertrand Renouvin Charles  Maurras et la question sociale. S.N.P.F. Collection Lys Rouge, 1983, 221 p. particulièrement pages 53 à 71, avec annexe de Pierre Andreu.

[3]Lire de Paul Sérant  Les Dissidents de l’Action française, Copernic, 1978, pages 50-56 et 271-21-278. Rééd. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2016, 416 p. avec une  préface d’Olivier Dard.

[4]Voir Action française quotidienne du 16 décembre 1916, sachant que Maurras entretien une correspondance avec Poincaré, qu’il rencontre.