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Comment sortir la santé d’une logique comptable et technocratique ?

Par Eric Bianchi

Monseigneur le Comte de Paris vient récemment de s’exprimer dans une tribune au sein de « Politique Magazine » sur les problèmes locaux de santé.

Cette tribune est doublement surprenante car elle aborde un sujet où il est rare de voir les « politiques » s’aventurer. Je n’ai pas souvenir qu’un des candidats à la présidentielle de 2017 ait placé la santé et l’accès aux soins comme un des éléments importants de sa campagne. Chacun était resté très discret sur le sujet et les visites sur le terrain pratiquement inexistantes. Elle est aussi surprenante par l’angle choisi, celui de la proximité. Point de grands discours ou de considérations générales auxquels nos politiques nous ont habitué. Non, un simple constat sur le quotidien des Français et la recherche de solutions simples, pragmatiques, peu coûteuses. Monseigneur montre ainsi une proximité avec le quotidien des Français qu’on ne retrouve pas chez nos dirigeants.

Cependant, nul ne se voile la face, et sûrement pas l’auteur de la tribune, ce n’est qu’un des aspects du problème ou des problèmes qui entrainent notre système de soins vers le néant. La démographie médicale en fait partie. Les problèmes démographiques touchent en même temps toutes les professions médicales et paramédicales avec des causes diverses pour chacune. Le nombre de médecins disponibles a quant à lui diminué depuis de nombreuses années. Cette diminution est l’effet d’idées géniales de technocrates des années 80. Ils avaient décrété que le déficit de la Sécurité Sociale était dû aux médecins qui prescrivaient trop. Donc pour eux moins de médecins = moins de prescriptions = disparition du déficit. En faisant un ratio, ils avaient déterminé le nombre de médecin idéal pour selon leur calcul aboutir à un équilibre financier. Ils avaient oublié de discuter avec les technocrates du bureau voisin qui leur auraient expliqué le principe d’une courbe démographique qui allait entrainer automatiquement une diminution des médecins et en parallèle une augmentation des demandes en soin. Je suis triste aujourd’hui pour mes anciens camarades d’université recalés avec 12 de moyenne alors qu’il fallait 12.2 pour être admissible au concours. Au lieu de leur avoir permis de suivre leur vocation, il a fallu ouvrir la porte à des médecins étrangers à la formation et au niveau sujets à discussion.

Si les technocrates des années 80 sont à la retraite (sûrement bien épaisse), rassurez-vous, ils ont été remplacés et les dogmatiques sont toujours à l’œuvre.

Dans les hôpitaux, les buts des différentes lois des années passées ont toujours été de déposséder les médecins de « leurs pouvoirs » au sein de l’établissement au profit des directeurs et de leurs différents sbires. A force de rabâcher aux médecins qu’ils ne pouvaient plus décider et qu’ils étaient des salariés comme les autres, ils ont intégré l’information et pris l’administration aux mots en demandant l’application des 35h, les repos de garde, etc.… etc.… L’hôpital au sens large du terme doit maintenant payer les gens pour leur travail et non plus compter sur le dévouement et la bonne volonté pour lesquelles l’administration n’était de toute façon pas reconnaissante. L’époque n’est plus aux sacerdoces dans le monde de la santé.

Il existe aussi un problème de continuité des politiques alors que la rénovation de notre système nécessite de s’inscrire dans la durée. Un médecin qui finit sa formation aujourd’hui, en comptant 10 ans en moyenne de formation, aura connu 3 présidents de la république, 4 premiers ministres pour presque 10 gouvernements et un nombre indéfini de ministre de la santé, de la solidarité, de l’Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur. Comment imaginer une logique de santé publique quand les politiques changent au gré des gouvernements avec des réformes qui parfois sont effectuées sans concertation de l’ensemble des acteurs. La dernière réforme de l’Internat modifie les parcours de formation pour permettre à l’hôpital de bénéficier d’une main d’œuvre bon marché au détriment des formations et de la médecine de ville.

Enfin dernier point abordé ce jour, celui de la certification des établissements. Il s’agit de processus nationaux auxquels tous les établissements doivent se soumettre. Il en découle de nombreuses difficultés et lourdeurs. Tous les établissements sont soumis aux mêmes règles que vous soyez un hôpital local de l’arrière-pays montagneux ou un prestigieux CHU en centre-ville. Ces processus sont maintenant accompagnés de mesures disciplinaires. Si le totalitarisme ce n’est pas d’empêcher les autres de parler mais de faire en sorte que tout le monde dise, pense et fasse la même chose, on peut se demander si ces processus dit « qualité » ne sont pas un versant du totalitarisme mou de notre société. Contraignants, ils sont aussi chronophages. Pour ma part, ils occupent sur une semaine trois demi-journées sur dix de mon emploi du temps avec des pointes à six demi-journées par semaine.

En rugby on dit souvent que quand les choses ne vont pas bien, il faut revenir aux fondamentaux, mêlée, touche, jeu au pied. Pour nous c’est un peu pareil, laisser du temps à l’aide-soignante et l’infirmière auprès du patient, laisser le médecin avec ses patients avec un pouvoir de décision seraient déjà la base d’une réforme au lieu d’inventer de nouvelles usines à gaz, comme le fait l’HAS, qui seront encore une perte de temps clinique.

Déverser des milliards à fond perdu ne changera pas la situation, il faut s’inscrire dans la durée, être pragmatique, proche du terrain, respecter les particularismes des professions, des modes d’exercice, des espaces géographiques et replacer la santé au cœur des enjeux et non plus la régulation médico-économique, autant d’éléments nécessaires à un sauvetage de notre système de soins. Autant d’éléments avec lesquels la république avec sa volonté de nivellement unificateur et son dogmatisme bureaucratique n’a jamais brillé. Ce qui ne nous permet pas de finir sur une note très optimiste pour les mois et les années qui viennent.

Dr Eric Bianchi, Médecin spécialiste MPR (Médecine Physique et de réadaptation) Chef de service