Par Frédéric de Natal
« Nous avons réagi sur le bilan politique de Jacques Chirac, avec un article sans concession de notre ami François Marcilhac, mais il est un autre aspect de l’ancien président, plus sympathique à nos yeux, qui mérite aussi d’être connu.
S’agissant du millénaire capétien, si Chirac y était favorable, Françoise de Panafieu, alors à la culture avait tout fait pour minimiser l’évènement, en prévision des célébration du bicentenaire de la Révolution qui arrivait deux ans plus tard. » (NDLR)
Jacques Chirac, président de la Vème République mais aussi «Chi-Chi » l’ami des têtes couronnées régnantes et en exil. S’il est bien une chose qui fait l’unanimité aujourd’hui chez les Français, qui rendent des hommages appuyés au successeur de François Mitterrand et dont on a appris le décès le 26 septembre, à l’âge de 86 ans, c’est la bonhomie naturelle de ce gaulliste assumé, curieusement apprécié des monarques de ce monde.
Tout comme son prédécesseur, Jacques Chirac était un amoureux de l’histoire de France et de ses anciens souverains dans lesquels il puisait parfois ses références. Il aura connu la majeure partie des têtes couronnées du siècle passé avec lesquels il entretenait des relations étroites et personnelles. Rien d’étonnant que le palais royal, au Maroc, ait rapidement adressé un message de condoléances aux Français, quelques heures après son décès, évoquant « la perte d’un grand ami et d’un grand homme d’état». Il est vrai que l’ancien maire de Paris avait des liens quasi familiaux avec le roi Hassan II et son fils, Mohammed VI, qu’il a vu grandir. Et si parfois, le protocole lui échappait quelque peu comme lors de sa visite en 1996 de la reine Elizabeth II où il avait eu le malheur de lui toucher la main lors du repas officiel, irritant les tabloïds britanniques, Jacques Chirac ne cachait pas qu’il appréciait volontiers le décorum de ces monarchies. C’était aussi un proche de la maison royale de France, représenté aujourd’hui par le comte de Paris, le prince Jean d’Orléans.
Loin d’être royaliste, Jacques Chirac avait compris toute l’importance de cette continuité de l’histoire de France incarnée par les héritiers des monarques capétiens. Associé de près aux festivités du millénaire éponyme, qui devait marquer l’acte de fondation de cette dynastie et qui est resté un événement majeur pour les royalistes français en 1987, Jacques Chirac avait clairement pris position dans la querelle dynastique qui agite les monarchistes depuis la mort du comte de Chambord en 1883. Avec une plume vitriolée teinté d’une acerbe honnêteté, il avait écrit le 24 juin 1985 au professeur Stéphane Rial, un courrier de « trois pages denses, arguments historiques et de droit à l’appui » qui démontrait selon lui que le comte de Paris [ici le prince Henri d’Orléans, grand-père de l’actuel détenteur du titre] était bien le légitime héritier des rois de France. Patriote, Chirac l’était indubitablement en dépit d’un leg politique plus que contrasté. Lors des commémorations du millénaire capétien, que n’avait-il pas souligné en faisant remarquer au professeur Stéphane Rial que ces festivités devait avoir « un caractère national, c’est-à-dire français » et qui devait impérativement exclure « les Bourbon d’Espagne de toute cette affaire ». Les intéressés avaient dû apprécier cette remarque alors qu’ils réglaient leurs comptes avec les Orléans devant les tribunaux.
Chirac entendait tracer son chemin dans celui du général de Gaulle qui avait longtemps correspondu et reçu au palais de L’Elysée, Henri d’Orléans, un temps considéré son successeur présumé. Lors de la première cohabitation (1986-1988), Jacques Chirac, alors premier ministre, avait même fait écarter du comité en charge des préparatifs de ce « millénaire » tous représentants du duc d’Anjou, le prince Alphonse de Bourbon, dont l’écrivain Maurice Druon (pour ne citer que lui). L’amitié entre le dirigeant du RPR (Rassemblement pour la République) et la maison d’Orléans ne fut pas un vain mot. Lors du décès d’Henri d’Orléans en 1999, l’ancien président s’était d’ailleurs empressé d’adresser un mot de condoléances empreint de respect très monarchique à sa famille : « «le comte de Paris a assumé toute sa vie dans la fidélité l’héritage de la famille royale de France, sans s’écarter du respect des institutions de la République» avait envoyé comme faire-part de condoléances le président aux héritiers de louis-Philippe Ier, dernier roi des Français. Une amitié qui avait amusé d’ailleurs à l’époque François Mitterrand, également proche du comte de Paris. Dans un entretien paru en février 1988 dans le magazine Play-Boy et mené par Catherine Nay, le leader socialiste et longtemps adversaire du maire de Paris avait ironisé sur la visite de celui-ci en Picardie et son combat pour la reconnaissance du comte de Paris comme seul prétendant au trône : « Ce n’est pas parce qu’[il] a assisté à une cérémonie de la célébration du millénaire capétien et qu’il va recevoir sa Majesté la reine d’Angleterre à Paris qu’il faut lui prêter des projets de restauration (de la monarchie). La présence de Bernadette Chirac (née Chodron de Courcel, barons d’Empire) au mariage du prince Jean d’Orléans en 2009 avait encore une autre preuve de cette proximité entre les Chirac et les Orléans. «Dernier grand président monarchique que les Français ont eu » d’après l’éditorialiste et directeur adjoint du Figaro Yves Thréard ou « roi fainéant » comme avait dit de lui le président Nicolas Sarkozy, quelles que soient les visions que les Français ont de Jacques Chirac, le roi de Belgique a souhaité aussi s’associer au deuil national et la perte d’un « grand homme d’Etat et d’un grand Européen ». En 2003, il avait accueilli en grandes pompes le roi Albert II et son épouse Paola, ses parents. Jamais république n’avait été alors plus royale que ce jour-ci.