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La royauté : le métier et l’ouvrage par Bernard Aloivine

Biographe des rois, roi des biographes, Jean-Christian Petitfils offre chez Tempus/Perrin une réédition en poche du Métier de roi, un volume qui réunit les Mémoires pour l’instruction du (Grand) Dauphin – qui couvrent les seules années 1661, 1662,1666, 1667 et 1668 – et trois textes courts : la Lettre du Roi à sa mère sur l’arrestation de Fouquet (1661), les Instructions au duc d’Anjou (1700) et la Lettre du Roi aux gouverneurs des provinces (1709).

Ces Mémoires authentiques nous sont parvenus grâce au zèle du maréchal de Noailles et malgré des érudits malveillants comme Charles Dreyss qui n’y voyait qu’un texte majoritairement composé par le conseiller d’État Octave de Périgny. C’est Paul Sonnino qui le premier établit la part majeure prise par le roi dans leur inspiration, leur relecture, voire leur dictée.

C’est d’abord leur caractère réaliste qui frappe le lecteur contemporain. S’adressant à son fils aîné, LouisXIV présente son gouvernement comme inspiré par « la raison » (p. 53). S’y ajoute une vision étonnamment humble de sa tâche. « La fonction de roi consiste principalement à laisser agir le bon sens, qui agit toujours naturellement et sans peine » (p. 54). Cela n’écarte pas la haute conscience de sa responsabilité. Louis veut assurer la subsistance de son peuple. Il reconnaît des obligations de compétence et d’implication « un roi qui ne sait pas [ses affaires],dépendant toujours de ceux qui le servent, ne peut bien souvent se défendre de consentir à ce qui leur plaît » (p. 309). À son fils, le monarque prescrit aussi la vie chrétienne : « il n’est pas juste que les souverains qui font profession de cette sainte doctrine[catholique] se fondent sur l’innocence qu’elle inspire à leur peuple pour vivre de leur part avec plus de dérèglement » (p. 320).

Malgré son jeune âge – il n’a que 23 ans en 1661 –,l’auteur se montre d’une grande maturité politique et conscient de la tradition capétienne qu’il perpétue.Elle repose sur la doctrine du droit divin et dispose une indépendance absolue du roi de France en matière temporelle ainsi que le devoir d’obéissance des sujets. Le monarque a marginalisé les ministres lors de la « révolution de 1661 » ; il conseille au Grand Dauphin de faire de même : « si vous m’en croyez […], le nom [de premier ministre] sera pour jamais aboli en France, rien n’étant plus indigne que de voir d’un côté toutes les fonctions, et de l’autre le seul titre de Roi » (p. 57-58). On croit lire ici, outre l’illustration de l’absolutisme, l’introduction de l’hybris dans l’histoire de France. Louis XIV n’appelle ainsi les empereurs du Saint Empire romain germanique que « les chefs et les capitaines généraux d’une République d’Allemagne » (p. 89) et annonce Napoléon : « pensez plutôt à tous ceux […] qui, d’une fortune particulière ou d’une puissance très médiocre, par la seule force de leur mérite, sont venus à fonder de grands empires » (p. 131). Il est vrai qu’à contrario le roi Bourbon nomme « l’accès libre et facile des sujets au Prince » (p. 169) comme la caractéristique de la royauté française…

Dans ses Mémoires, le Roi Soleil fournit enfin une méthode et une éthique de l’homme d’État. Ainsi,la leçon qu’il donne de puissance assortie de prudence invite aux alliances, voire à la dissuasion : « souvenez-vous que notre puissance, lors même qu’elle est à son comble, pour être plus redoutée, doit être plus rarement éprouvée » (p. 161). En matière de finances publiques et malgré sa réputation dispendieuse, Louis recommande d’alterner entre « ménage[ment] » et« profusion ». Il pose la question de l’égalité fiscale en semblant viser davantage le premier (le clergé) que le deuxième ordre (la noblesse). Mais le roi pose surtout la question qui vaut pour toute la modernité politique : comment gouverner sans la pleine souveraineté, ni le temps long, ni le Seigneur tout puissant ?

PETITFILS, J-C, Louis XIV : Le Métier de roi. Perrin ‒Tempus. 2019 (2012).

Source : Le Bien Commun n° 8, juin 2019.