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Jean-Michel Vernochet, La Guerre civile froide (La théogonie républicaine de Robespierre à Macron), éditions Le Retour aux Sources, octobre 2017, 199 pages, 17 euros.

Jean-Michel Vernochet : La guerre civile froide

Jean-Michel Vernochet, journaliste professionnel et essayiste prolifique, a publié au mois d’octobre 2017 un essai intitulé La Guerre civile froide (La Théogonie républicaine de Robespierre à Macron). Ce titre annonce une ambition étourdissante et pourtant essentielle : dévoiler la généalogie de la morale libérale-libertaire dite aussi droit-de-l’hommiste, qui constitue la charpente du régime républicain, afin d’en décrire la croissance sur les deux derniers siècles, et ainsi mieux disséquer sa réalité morphologique actuelle et à venir : celle du totalitarisme consumériste. D’emblée, par ce terme de théogonie, les valeurs républicaines sont dénoncées comme une religiosité de substitution aux anciennes religions. Le cadre est lui aussi posé : la France des Jacobins aux Centristes. L’atmosphère est menaçante : une guerre intestine, prête à imploser la nation. Si l’on a connu des titres plus lyriques, plus saisissants, celui-ci a la vertu d’être explicite.

Les racines irrationnelles de la gauche

La thèse de l’essai, rédigé dans un style agréable, parfois soutenu, est que la morale libérale-libertaire constitue en réalité la Gauche parvenue à un certain degré de développement de sa propre logique idéologique issue des Lumières, qui se résume en trois mots : Liberté, Égalité, Unité, mots cache-sexes des instincts les plus bas et des ambitions les plus inavouables, irrationalités se prévalant d’une pseudo-rationalité flouant de ses filets arachnéens les benêts lâches, présomptueux ou mégalomanes, à l’esprit contre-nature, donc amoraux. Le triomphe historique de la Gauche a ainsi instauré le règne des tartuffes les plus cyniques et inconscients de tous les temps. Car, expose l’auteur, la Liberté chérie est en réalité bornée par les intérêts commerciaux de l’oligarchie financière dominante et des lobbies-chiens de garde rétribués, lesquels interdisent toute critique de l’ordre moral et sociopolitique, critique aussitôt pénalisée et psychiatrisée  ; l’Égalité arase les intelligences et les conditions sociales afin de paupériser les masses dans une médiocrité indifférenciée doublée d’une amnésie mémorielle ; l’Unité détruit de facto les anciennes solidarités communautaires en individualisant chaque être, placé alors dans un rapport de dépendance directe et esseulée vis-à-vis de l’administration étatique.

Quant à la Droite, elle n’existe pas ; ce terme pseudo-partisan serait un fourre-tout inventé par la gauche dès la Terreur de 1793 afin de désigner toute opposition, quelle que soit sa nature. Ainsi y retrouve-t-on la Réaction (maistrienne, maurrassienne), mais aussi les Islamistes ou les Chinois, même naturalisés français. De fait, la logique du raisonnement gauchien est, toujours selon l’auteur, matérialiste : « Le Progressiste (…) se déclare convaincu que la plasticité adaptative des hominidés est sans limite. (…) L’homme de droite serait en conséquence celui qui nierait le rôle surdéterminant de l’environnement dans la création et le maintien d’inégalités entre les individus et les communautés humaines, ceci afin de justifier des avantages et privilèges produits par des règles injustes. ». En d’autres termes, chaque être humain, quel que soit son sexe, son ethnie, sa culture, sa génétique, constitue une « monade » anonyme remplaçable par n’importe quelle autre et déterminé exclusivement par les rapports socioéconomiques auxquels il est confronté et dont il est le prisonnier balloté. Toute opposition à l’égalitarisme relève en conséquence de l’iniquité politique, de l’Injustice en soi, ce qui criminalise jusqu’à la critique idéelle (parole ou même pensée). Raisonnement qui justifie par Justice un État « terroriste », selon la brutale expression de Lénine précédé par Saint-Just, ou, en démocratie libérale, un État « Moloch » (terme réitéré par l’auteur) dont l’inflation législative vise à encadrer jusqu’à la moindre intimité du citoyen. La discussion s’avère d’autant plus stérile que le l’esprit progressiste demeure convaincu que toute « iniquité [est] non naturelle, l’homme étant réputé originellement bon ».

Mais, ironise Jean-Michel Vernochet, la société étant naturelle aux hommes, et les intelligences et les talents par essence inégaux, la guerre sociale reste perpétuelle et épuisante. Ce qui démontre, poursuit-il, que l’analyse de Gauche est dénuée de fondement réaliste, qu’elle s’engonce dans un délire abstractisant, en un mot : « irrationnel » et « schizoïde », termes dont il use maintes fois pour la désigner.

À l’opposé, Vernochet affirme la « morale » de Droite fondée sur « un effort d’adéquation au monde et à ses lois non transgressives », autrement dit à une Nature éternelle. Les lois anciennes : la Tradition, résultent de l’adaptation progressive, équilibrée et experte de l’Homme millénaire à un contexte ethnoculturel et géopolitique précis. Or, « la Révolution, fût-elle culturelle, numérique et postmoderne, à force de se vouloir négation du passé (…) en devient du même coup négation du réel. (…) Ainsi, l’idéologie du déracinement, de la mobilité, de l’ouverture, du nomadisme, du progrès, est celle de l’impermanence. »

Une analyse négligente

C’est ici qu’apparaissent les limites de la pensée de Jean-Michel Vernochet.
D’abord, l’essai ne répond pas, ou fort partiellement, à son ambition initiale et majeure : les racines de « la Gauche ». Le lecteur ne comprend pas mieux, la lecture achevée, les raisons qui ont engendré un tel sophisme ni comment, ni pourquoi celui-ci a fini par gangrener l’entière société française. Certes, l’auteur se référence une fois aux Lumières, une autre à Rousseau, aux guerres civiles successives surnommées révolutions (1789, 1793-1794, 1830, 1848, 1871, 1944, 1968) en précisant que leur fonction fut d’épuration sociale ; mais enfin, pourquoi dès lors cet échec absolu de la Santé ? Nulle réponse. Pourquoi ces sophismes irréalistes séduisent-ils tant de gens ? Silence. Quelle est l’origine idéologique et philosophique propre à l’Histoire occidentale qui a permis soudain l’irruption de la Gauche ? Des étrangers, ou des cerveaux malades, répond Vernochet. Explication blafarde.

Ensuite, Vernochet n’explique jamais sur quoi se fonde sa vision de la Morale. Il traite les progressistes et autres libéraux-libertaires d’amoraux, de cervelles contre nature, de demeurés, de schizoïdes, d’attardés…tout en se plaignant de la psychiatrisation usée par la Gauche contre ses ennemis ! Mais lui-même ne définit jamais avec précision sa morale, sinon en déclarant qu’elle est meilleure que ses adversaires puisqu’elle se réclame de la Nature et de la Tradition. La belle affaire !

De surcroît, à aucun moment l’auteur ne parvient à faire le lien entre deux constatations saisissantes : d’un côté, la croyance béate des sbires de la Gauche à un idéal artificiel, de l’autre, leur hypocrisie carriériste préoccupée de prébendes ; certes, il diagnostique crûment cette tartufferie éhontée : « Dans les sociétés où les individus sont partagés entre leurs actes [sociaux et financiers] (à droite) et leurs représentations [politiques et psychiques] (à gauche), il n’est pas extravagant de penser que cette guerre civile intérieure [schizoïde] (…) ne finisse par se transposer à une (…) échelle [étatique et militaire] ». Mais il n’explique jamais les ressorts intimes qui forcent à une telle hypocrisie. Par exemple, il dénonce la violence idéologique communiste, son goût des insurrections meurtrières et des « matelas de cadavres », pour paraphraser Saint-Just cité par l’auteur, puis suffoque sous la niaiserie démente du programme du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) de Philippe Poutou réclamant le désarmement de la police dont les revolvers seraient des incitations à la haine sociale et des provocations humiliantes ; il ne comprend pas que cette exigence vise simplement, en cas de situation insurrectionnelle (moyen indispensable à la conquête du pouvoir selon l’idéologie marxiste), à rendre la police inoffensive : les antifas et les cités d’immigrés (sur lesquelles comptent les premiers) possèdent des caches d’armes, prêtes à être déployées : des policiers désarmés seront aisément assassinés. Car, pour citer Aragon, n’oublions pas le mot d’ordre léniniste : « Descendez les flics /Camarades /Descendez les flics », ce qui signifie littéralement : « Camarades, tuez tous les flics ! » Les justifications appelant à la sensiblerie visent simplement à stupéfier les béats efféminés, les lâches prêts à toutes les concessions pour obtenir la paix sociale, en deux mots une bourgeoisie dégénérée. Autre exemple : avec beaucoup de justesse, Vernochet écrit : « Le relativisme, ce nihilisme qui ne dit pas son nom, cette négation du réel (…) » ; mais plus loin, il s’étonne de la niaiserie des tenants de la Gauche devant certains idéaux si évidemment artificiels (immigrationnisme, confusion des sexes, mixité sociale, etc.) ; il ne tire donc pas les conclusions de ses propres constatations : si les nervis boboïdes de l’oligarchie sont des nihilistes, cela signifie qu’ils ne croient pas en leur for à leurs propres dires ! La preuve en est qu’aucun ne mourrait pour ses idées ; observons que la moindre répression policière entraîne immédiatement un éparpillement des manifestants jusqu’au dernier… Plus loin encore, Vernochet s’étonne lui-même de ce que les sophismes idéologiques de la gauche ne soient mieux perçus de tous et assiste stupéfait à cette « hostilité de principe à l’incarnation institutionnelle de l’Autorité » ; mais il n’explique pas pourquoi les âmes françaises ont perdu tout sens de la légitimité, sinon en relatant le viol initial du pays par les Révolutionnaires robespierristes qu’il décrit, à l’instar de l’oligarchie bolchévique, composée d’étrangers… Ce qui est historiquement faux. Il réitère en affirmant que les maîtres à penser de la République aujourd’hui sont aussi des étrangers ou des naturalisés de fraîche date, vivotant de subventions étatiques… Ce qui est faux aussi, en tout cas non prouvé par lui, car, aussi malheureux que cela puisse être, la majorité des intermittents du spectacle comme des rédacteurs de Mediapart et de Libération arborent des noms d’état-civil gallo-romains, tandis que la majeure partie des fidèles assistant aux messes dominicales célébrées dans le périurbain sont, non des prolos blancs, mais des Noirs panafricains. C’est donc bien l’âme française qui s’est fêlée à un moment donné de son histoire. Vernochet n’explique jamais comment ni pourquoi. On sent même cruellement son impuissance à saisir cette problématique essentielle pourtant proclamée dans son titre ; il en enrage, se perd parfois dans les insultes psychiatriques à l’égard de ses ennemis…

Des lacunes intellectuelles

Pourtant, l’aspect qui nous étonne et nous déçoit le plus dans cet essai, est finalement son absence de charité intellectuelle. En effet, comprendre une pensée à nous allogène nécessite de plonger dans ses abîmes. Or, jamais l’auteur ne se questionne sur ce que recèle ce serpent si fascinant de l’idéologie de Gauche pour hypnotiser jusqu’au délire ses adorateurs. Bien entendu, Vernochet dénonce les turpitudes de l’ambition des petits marquis, des Rastignac à la manque, des veules conformistes ― observations communes sur la banalité humaine ; mais le plus souvent, il désigne « les casseurs antifas, black blocks, autonomes, zadistes, no borders », c’est-à-dire l’élite de la Gauche, ceux qui se sacrifient pour elle, comme des « suppôts de l’enfer sur terre » ! Certes, il tente de développer son analyse : « Les trois idées architectoniques qui forment les trois moments du concept République [à savoir : la Liberté, l’Égalité, l’Unité] constituent ce qu’il convient d’appeler une épistémè religieuse active, soit une croyance et une superstition, c’est-à-dire une structure perceptive, offrant une lecture du monde non rationnelle issue d’une mentalité prélogique. Reste que les foules sont gouvernées par des émotions (peurs, espoirs, rêves, désirs, envie, égoïsme, générosité, altruisme, colère, cruauté), autant de passions essentiellement versatiles parce que non raisonnées et relevant du cerveau dit archaïque, le lobe limbique ». Or, cette analyse est erronée, et la lecture de Nietzsche ou de Boutang suffirait à la redresser. En effet, l’idéologie matérialiste libérale-libertaire est fille des Lumières, et ses sophismes se fondent justement sur une vision rationaliste du monde. Le raisonnement rationaliste est le suivant : les êtres humains possèdent tous une conscience (mathématique, c’est-à-dire déductive et inductive), en langue des Lumières une Raison ; or, la raison n’appréhende que les éléments matériels (les choses et leurs rapports) ; donc le domaine des idées relève de constructions abstraites (cultures comme idéologies) résultant du rapports des choses entre elles (liens socioéconomiques) ; en conséquence, tous les êtres humains sont identiques quel que soit leur âge, leur sexe, leur ethnie, leur culture, et peuvent à leur gré les permuter. C’est le cartésianisme porté à ses fins dernières. Or, si, comme à l’inverse le prouvent Nietzsche et la science neuronale actuelle, la conscience rationnelle n’est jamais que l’arme des instincts et des pulsions dressés par l’éducation de l’enfance et les gênes hérités, ce que d’aucuns nomment le subconscient, en d’autres termes si la raison n’est point indépendante mais asservie par l’âme profonde (subconsciente et subjective), le rationalisme, qui choisit d’ignorer ces tréfonds et de ne point dresser les instincts, au profit du développement de la seule conscience raisonnante (primauté des mathématiques) aura pour conséquence immédiate le déchaînement irrépressible et sournois des instincts les plus bestiaux, les plus sordides, les plus prosaïques ; et l’aveuglement du coupable se traduira par un autisme profond envers ses propres intentions ainsi qu’envers les mentalités allogènes. C’est ce qui explique, dans les cerveaux libéraux-libertaires, cette négation des spécificités identitaires familiales, locales, entrepreneuriales, régionales, nationales, culturelles, génétiques. C’est par là même que la notion de bonté innée de l’humain leur semble une évidence : la conscience rationnelle est neutre et objective, et seules les erreurs matérielles (en l’occurrence l’iniquité sociale) la dévoie. Leur bonne conscience se nomme en théologie catholique : l’orgueil, et en morale classique : la vanité. Les bigots de cette pensée libérale-libertaire sont donc des orgueilleux au sens satanique du terme, parce qu’à travers la raison, inconsciemment dévoyée, ils se considèrent d’une intelligence démiurgique. Nul besoin de parler d’irrationalité : ils sont certes coupés des notions naturelles (à commencer par les leurs), mais non irrationnels (ce qui explique leur passion des sciences et du transhumanisme). Jean-Michel Vernochet a donc commis un vice de raisonnement d’autant plus grave que toute sa thèse est fondée sur l’affirmation d’une irrationalité de la Gauche ! Cette contrevérité est à l’origine de son incompréhension de la théogonie républicaine, de son incapacité à en expliquer la généalogie et le développement en apparence paradoxal, schizoïde.

Enfin, il faut signaler que Vernochet commet plusieurs confusions idéologiques indignes d’un titre aussi ambitieux que celui d’une « critique de la théogonie républicaine ». Jamais l’auteur n’explique comment une Gauche d’abord patriote, nationaliste même, inventant le roman national de Vercingétorix et Jeanne d’Arc, a pu devenir cette Gauche hors sol et anhistorique actuelle, bien qu’il le constate ! Il n’opère par ailleurs jamais de distinction, de nature ou de degré, historique ou idéologique, entre les Rouges et les Bleus, 1789 et 1793, bien que toutes les révolutions françaises aient vu s’entretuer ces deux factions ! Il accuse les Jacobins de cosmopolitisme et d’universalisme indifférencié alors même qu’ils ont inventé le nationalisme français que récupérera Maurras ! Il confond allègrement internationalisme et cosmopolitisme, alors que l’internationalisme signifie simplement l’alliance confédérée entre les nations et la paix perpétuelle (la Commune de Paris de 1871 était très patriote, tout comme les Résistants communistes durant l’Occupation), tandis que le cosmopolitisme est né du règne du capitalisme financier (opposé à l’industriel), c’est-à-dire des banquiers et de l’existence citadine des mégapoles ! De surcroît, il n’a pas compris les nuances de la pensée de Karl Marx (qui ne niait pas l’importance de la culture originelle, était antisémite et racialiste), ni le béaba de la pensée nietzschéenne (qu’il croit relativiste et matérialiste pour sa condamnation de la morale, alors que ce dernier critiquait celle-ci pour lui opposer…l’éthique : la recherche de la valeur réelle des valeurs morales ou prétendues telles, afin de situer à nouveau l’Homme…dans la Nature) ! Ces erreurs, inexpiables dans le cadre d’une problématique si complexe, prouvent que Jean-Michel Vernochet n’a pas l’envergure intellectuelle de ses ambitions, ni la rigueur scientifique nécessaire à une pensée analytique.

Un essai trop inégal

Ces limites suffisent à décrire l’ampleur de cet essai : un essai de journalisme intellectualisé, mais non d’intellectuel. Un long article de journal, divisé en alinéas de deux, trois pages, tels des articles à insérer, regorgeant d’exemples concrets, souvent issus de l’actualité récente, parfois répétitifs, toujours au détriment de l’analyse idéelle. En somme, l’essai de Jean-Michel Vernochet compose un recueil d’articles journalistiques concernant un sujet précis : le constat désolé de la domination factuelle de la gauche libérale-libertaire macroniste sur la société française. L’intérêt en est très inégal, oscillant entre le carrefour du commerce du webzine Boulevard Voltaire (plusieurs fois cité, comme par hasard), l’ultra droitisme populacier de Rivarol, mais aussi certains magazines d’une plus haute tenue tels Éléments et L’Incorrect. Aussi le lecteur avide d’une pensée complémentaire de celles d’un Alain de Benoist ou d’un Jean-Claude Michéa, ou de l’acuité journalistique d’un Éric Zemmour, ou de la sociologie implacable d’un Christophe Guilluy, restera-t-il altéré malgré quelques gorgées délicieuses.

Aymeric Taillefer