Convient-il de revenir sur l’ « affaire Michel Déon », maintenant que l’académicien, mort en 2016, semble assuré d’une sépulture à Paris, conformément à ses dernières volontés ? Oui, pour en tirer les leçons. Oui, parce que nous ne saurions nous contenter de la capitulation de la maire de Paris sans comprendre les ressorts profonds de son attitude durant les deux semaines qu’aura duré la polémique. « Beaucoup de bruit pour rien », écrit Eric de la Chesnais dans Le Figaro su 20 février. Ce n’est en rien retirer au quotidien fondé sous Charles X tout le mérite d’une bataille qu’il aura conduite avec détermination, et succès, que de dire notre désaccord sur ce jugement final. « Beaucoup de bruit », en effet, notamment grâce au Figaro, mais pas « pour rien », au contraire, pour faire éclater la vérité d’une gauche morale qui, se plaçant naturellement dans le camp du Bien, aura joué dans cette affaire le rôle d’un Créon non seulement sûr de son fait et de son droit mais, plus encore, de la valeur hautement morale de la diabolisation de l’Adversaire, même mort.
Un discours de haine
Parler de mauvaise foi, comme certains, c’est commode, mais c’est insuffisant. Car il y a bien plus que de la mauvaise foi, dans l’attitude d’une équipe municipale qui a instrumentalisé le droit pour en abuser sur le fond, comme l’a démontré Charles Prats, magistrat en cour d’appel et membre du conseil scientifique du CSFRS (le conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique), dans un article du Figaro paru le 13 février dernier. Il y a bien plus que de la mauvaise foi dans cet acharnement à refuser à un mort le respect de ses dernières volontés. Derrière un discours juridique empreint d’une apparente neutralité technique, voire derrière l’invocation (sans rire) de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de la sacro-sainte Egalité, c’est un véritable discours de haine que la mairie de Paris a tenu et que seule explique l’assurance de mener un combat transcendantal, celui du Bien contre le Mal, celui de l’Emancipation contre les forces de la Réaction, celui du Progrès, voire de la Pureté morale contre les Heures les plus sombres de notre histoire.
Déon = Maurras = Hitler
Que cette affaire soit intervenue au lendemain d’une autre, celle de la commémoration nationale de Maurras, n’est pas anodin. Michel Déon n’était pas seulement un grand écrivain français, à la fois populaire et de qualité ; il n’était pas seulement une plume connue et traduite aujourd’hui dans le monde entier. Il était aussi un homme de conviction et de fidélité, mais d’une conviction et d’une fidélité qui ne pouvaient que déplaire à la maire de Paris. Certes, elle aurait pu passer outre ses préférences partisanes pour privilégier à la fois ce qu’on doit à un grand écrivain et à un mort. Mais cela aurait été la preuve d’une hauteur de vue et d’une grandeur d’âme inconciliables avec la médiocre certitude d’être la gardienne du Temple des valeurs républicaines, pour lesquelles, évidemment, Michel Déon représente le Diable. Créon avait abusivement privé Polynice de sépulture parce qu’il avait trahi la cité de Thèbes. Quelle trahison avait commise Michel Déon ? Michel Déon avait trahi bien plus que sa patrie – ce qui, du reste, ne signifie plus grand-chose aujourd’hui : aux yeux d’une élite de gauche à la fois peu cultivée mais morale, Michel Déon avait trahi l’humanité en ayant été le secrétaire de Maurras et en ne s’étant jamais repenti ni de son affection pour « le maître » ni de son engagement royaliste. En 2012, pour le colloque organisé pour le soixantième anniversaire de la mort de Maurras, son âge l’empêchant de venir, il avait tenu à écrire aux organisateurs de la journée, et à ses participants, une lettre dans laquelle sa fidélité n’avait rien perdu ni de sa jeunesse ni de son ardeur. Frédéric Potier, délégué interministériel contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, un de ceux qui a obtenu le retrait de Maurras de la liste des commémorations nationales, n’a-t-il pas justifié cette demande parce que Maurras était « pro-hitlérien » ? Rien n’est pire que le coquetèle formé par l’ignorance crasse et la haine vertueuse reposant sur la certitude d’incarner le Bien. C’est ce coquetèle mortifère qui a failli priver Michel Déon de sépulture. Si Déon, c’est Maurras, et que Maurras, c’est Hitler, alors Déon, c’est Hitler : imagine-t-on Hitler inhumé au cimetière du Montparnasse ?
Les intellectuels tournent le dos à Hidalgo
La pression médiatique, la seule, au fond, qui puisse faire bouger les lignes des bobos bien-pensants, aura donc eu raison de la détermination égalitaire jusque dans la mort de la mairie de Paris. Anne Hidalgo a dû avaler son chapeau. Et subir une double défaite. Non seulement elle doit accorder une sépulture à Michel Déon, rétabli dans sa dimension de grand écrivain français, mais sa rigidité idéologique lui a valu, en plus, un camouflet de la part de l’intelligence française et internationale qui l’a désavouée, à travers 100 écrivains de tous bords politiques et philosophiques exigeant, dans une tribune au Figaro, qu’elle accorde à l’écrivain une sépulture parisienne. Un camouflet dont elle aura, moralement, bien du mal à se remettre.
François Marcilhac